Merci bien pour la vie (sept 2015) by Breg Sibylle

Merci bien pour la vie (sept 2015) by Breg Sibylle

Auteur:Breg, Sibylle [Breg, Sibylle]
La langue: fra
Format: epub
Tags: RL15
Éditeur: Actes Sud
Publié: 2015-07-14T22:00:00+00:00


Depuis qu’il avait retrouvé Jojo,

par hasard, sur le pas de sa porte, plus d’un an auparavant, Kasimir ne l’avait plus quitté des yeux. Il savait à n’importe quel moment où Jojo se trouvait et pourquoi. Il avait des projets, dont il savait bien qu’ils frôlaient l’obsession pathologique.

Chaque samedi, installé dans un coin, Kasimir assistait aux prestations de Jojo dans le bar Central.

Bien en chair, les gens restaient debout à attendre les réjouissances. Bientôt les siamois feraient leur apparition, la naine, Florence Foster Jenkins viendrait se ridiculiser d’un moment à l’autre, ils avaient une étincelle dans le regard, place aux visions gênantes, aux êtres bons pour l’estime de soi, leurs visages rayonnaient, les bouches étaient prêtes, dans l’expectative, serrées en un rictus méprisant, ils allaient voir et entendre un spectacle dont le sens leur échappait et s’en payer une bonne tranche. Kasimir les haïssait tous autant qu’ils étaient.

Lors des premiers concerts, il avait brièvement cru que le public comprenait ce qui se produisait devant lui, qu’il allait se joindre aux larmes de Jojo et se laisser emporter, avant de se rendre compte que Jojo n’était à leurs yeux qu’une vaste blague. Il arrive, fais gaffe, tu vas mourir de rire. Regarde, tu vois, c’est quoi ce truc, un travesti ? Une folle ? C’est un zombie, bon sang, tu vois bien, fais attention, il va commencer à couiner, tu n’as jamais entendu ça, un truc pareil. Et ils perdaient toute retenue, ils explosaient de rire, se tapaient sur les cuisses, le tout sous le regard de Kasimir. Des gens médiocres aux visages identiques qui ne dégageaient rien, les yeux morts, tous vêtus de leur uniforme bleu, des corps en surpoids à la peau tachée, et des idées qu’ils tenaient d’un peu partout à l’exception d’eux-mêmes, ils voulaient tous être dans les médias, un boulot créatif. C’était le début du déclin, avant que tout le monde ne rêve plus que de se remplir les poches, sans se soucier de ce qu’on ferait une fois que l’argent aurait disparu par inadvertance.

Kasimir essayait de ne pas penser qu’il respirait l’air expiré par ces gens immondes, il s’efforçait de réprimer son dégoût et d’écouter Jojo dont la souffrance était d’un tel raffinement que Kasimir devait chaque samedi quitter le bar pour pleurer à l’extérieur. Personne ne devait le voir, aucun de ces gens incroyablement repoussants qui représentaient tout ce qu’il haïssait. On ne pouvait pas dire que la situation s’était améliorée, depuis le Moyen ge et les rues jonchées de leurs excréments, après ça on s’était simplement mis de la poudre sur le nez, la bassesse avait été cachée sous des habits autonettoyants au prix exorbitant, derrière une culture superficielle faite d’intitulés de chapitres, histoire de planquer la misère du cerveau au rabais.

À chaque concert, Kasimir en abordait une. Il avait une apparence soignée et sentait bon, paraissait sensible et éduqué, elles acceptaient toutes d’engager la conversation, d’abord du bout des lèvres, elles étaient conscientes de l’impuissance biologique des hommes, ces grandes pouliches hautes sur



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