Max by Sarah Cohen-Scali

Max by Sarah Cohen-Scali

Auteur:Sarah Cohen-Scali [Cohen-Scali, Sarah]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française
ISBN: 2070643891
Éditeur: Gallimard
Publié: 2012-05-10T22:00:00+00:00


19

Je n’ai pas droit à un mot de reconnaissance de la part de Lukas, à l’infirmerie, quand nous y sommes transférés tous les deux. Et pourtant, je m’en suis pris plusieurs, des coups de fouet qui lui étaient destinés. J’ai dégusté ! L’Aufseherin était déchaînée. Dans sa fureur, son exaltation, la joie qu’elle éprouvait à frapper, frapper, encore et encore, elle n’a pas vu qu’elle était en train de battre le BPFP en personne. Que cette peau – blanche, parfaite, échantillon type de la race supérieure – qu’elle déchiquetait et lacérait sans merci, était celle-là même que le Führer, autrefois, avait caressée de sa propre main. Même le docteur Ebner a mis du temps à me reconnaître. (Comme je m’étais éclipsé discrètement pour aller regarder les filles, il me croyait parti depuis longtemps.)

Le fouet sur BPFP.

Sacrilège !

BPFP a eu très mal. BPFP a perdu connaissance. BPFP a cru qu’il allait mourir.

Pas une parole à l’infirmerie, donc, quand, après avoir repris conscience, Lukas et moi sommes tous les deux allongés sur le ventre, incapables de bouger sans avoir l’impression que notre dos va se briser en mille morceaux. Incapables d’articuler autre chose que de longues plaintes, de lamentables gémissements. Comme deux vieillards à moitié paralysés.

Pas davantage lorsque, une fois guéris de nos blessures, nous quittons l’infirmerie. Lukas pour intégrer le groupe des plus grands, moi pour retrouver le mien. Mes camarades, eux au moins, m’accueillent en héros.

— Bravo, Konrad ! Toi rudement courageux ! Petit Konrad très fort ! Vraiment, très, très costaud pour pas crever sous fouet de putain d’Aufseherin !

En d’autres circonstances, leurs paroles me gonfleraient d’orgueil. Là, non. Je n’ai pas besoin de leur reconnaissance. C’est celle de Lukas que je veux. Qu’il ne me dise pas merci, passe encore. (Les Polonais sont vraiment des porcs pour élever aussi mal leurs enfants !) Mais au moins qu’il m’adresse la parole ! Qu’il me dise quelque chose, n’importe quoi ! Même « Gowno ! » (« Merde ! »). J’ai beau essayer de l’aborder dans les jours qui suivent, peine perdue, il ne me voit même pas. Son regard passe au-dessus de moi, comme si je n’étais qu’un objet posé sur son chemin, un caillou, une pierre, un obstacle à contourner. Il adopte d’ailleurs le même comportement avec tout le monde. Ce point-là au moins me rassure, j’ai la consolation de savoir qu’il ne m’en veut pas personnellement. Dans son dortoir, dans sa classe, aucun garçon ne réussit à lier la moindre relation avec lui. C’est comme s’il avait la bouche scellée.

Pourtant, il trouve par moments le moyen de l’ouvrir, sa bouche. Sa grande gueule !

En cours d’histoire par exemple, quand il décrète tout à coup, un beau matin, en regardant l’éducatrice droit dans les yeux, que l’entrée en guerre des Américains va changer la donne et que, alliés aux Européens, ils finiront bien par mettre l’Allemagne à genoux. Quand il affirme que l’Allemagne ne pourra jamais envahir la Russie. (L’éducatrice frôlant la crise d’apoplexie, elle n’a plus de voix pour lui répondre.



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