Marie des brebis by Christian Signol

Marie des brebis by Christian Signol

Auteur:Christian Signol [Signol, Christian]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 978-2724260120
Éditeur: France Loisirs
Publié: 1990-01-01T05:00:00+00:00


8

Je m’étais juré en 1939 de ne jamais remettre les pieds dans une église s’il arrivait malheur à l’un des miens, et pourtant je m’y rendais chaque matin depuis ce mois de mai qui avait vu la paix nous revenir. Comme après la fin de la guerre de 14, la confiance s’installait de nouveau sur nos collines, et l’air que nous respirions semblait plus limpide, le bleu du ciel plus bleu, le vent plus doux. Les gens des campagnes avaient d’ailleurs beaucoup moins souffert qu’alors. La plupart, dans les bourgs et les villages, n’avaient jamais vu le moindre uniforme allemand. Les maires ne s’étaient pas déplacés aussi souvent, l’écharpe à l’épaule, pour annoncer la terrible nouvelle de la mort d’un fils ou d’un mari. Seuls les mois de juin et de juillet 44 avaient été meurtriers, du moins chez nous. L’horreur, la vraie, avait frappé plus à l’est, dans ces camps d’où bien peu d’hommes sont revenus. Mon Dieu ! quand j’ai vu ces premières photos sur les journaux, comme j’ai eu mal ! Voir des hommes et des femmes ainsi traités m’a donné honte d’être vivante, et j’ai passé de longues journées seule sans trouver la force de parler à qui que ce soit.

Et puis l’été a passé, l’hiver aussi, et un nouveau printemps est arrivé. Ce fils que la guerre m’avait pris, je l’entendais toujours me parler, rire, je le voyais assis à table, et je sentais à chaque minute qu’il n’existe pas de plus grand malheur au monde que de perdre un enfant. Sans doute pour compenser cette absence, je m’étais rapprochée encore plus de Françoise dont le regard, le sourire m’étaient devenus aussi indispensables que l’air que je respirais. Et voilà que depuis quelque temps je la sentais s’éloigner de moi doucement, insensiblement, sans que je ne puisse rien faire pour la retenir. Elle me parlait moins, soudain, fuyait quelquefois ma présence, et je me demandais quelle faute j’avais commise pour provoquer une telle conduite. Elle s’est tue jusqu’en septembre, avec cette même obstination qu’elle mettait en toute chose, mais sans paraître s’apercevoir combien j’en souffrais. J’en parlais à Florentin, qui avait aussi remarqué cette distance soudaine, mais je ne trouvais pas le courage de parler à Françoise. Un soir que nous étions seules toutes les deux en attendant Florentin, elle s’est brusquement tournée vers moi et m’a dit d’un air bouleversé :

— Il faut que je parte, maman.

C’est à peine si j’ai eu la force de demander :

— Et où veux-tu partir, ma fille ?

— À Paris.

J’avais imaginé bien autre chose : le chagrin, la maladie ; mais je découvrais que son mal était bien plus terrible encore, à la fois pour elle et pour moi. En me voyant si malheureuse, elle m’a expliqué d’une voix douce qu’elle ne voulait pas passer sa vie sur nos collines, mais vivre ailleurs, et d’un métier qui la rendrait heureuse. Elle devinait que loin du causse le monde était différent, plus vivant, qu’elle pourrait découvrir d’autres gens, exister



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