Mélèzes suivi de Un homme sensé by Claude Raucy

Auteur:Claude Raucy [Raucy, Claude]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Libre court
Publié: 2014-01-01T00:00:00+00:00

Ce n'était pas signé, mais le texte était suivi d'un numéro de téléphone portable.

Clair comme du jus de jonagold : il ne pouvait s'agir que de lui. Élégant, cela allait sans dire. Blazer gris ? Pas vraiment : le sien était bleu roi passé. Un bleu abdiqué, en somme. Mais avec le soleil dans l’oeil, on pouvait se méprendre. Il passa la veste, prit une lampe de poche et, devant le miroir de la salle de bain, fit l'expérience. Lumière dans la pupille, oui, on pouvait croire à du bistre, ou à quelque chose d'approchant. Mocassins en daim ? Parfaitement. D'une couleur châtaigne à peine mûre. Du 45, mais on ne le précisait pas. En fait, il chaussait du 43 mais aimait se sentir à l'aise. La canne ? Certes. Nul besoin d'elle pour la marche mais on n'est jamais trop prudent. Les jeunes délinquants pullulent dans le coin, surtout depuis que le pays ouvre les bras aux émigrés de toutes les couleurs. La canne, cela permet de valeureux coups sur le crâne. Pour le cas où.

Il relut l'annonce. Elle n'avait pas l'air d'une plaisanterie. Mais qu'avait-il oublié, cette fois ? En avril, il était descendu place Nicolay en laissant dans le bus le sac C&A avec ses nouveaux caleçons en soie artificielle. Quatre pour le prix de trois. Il n'en avait évidemment jamais revu la couleur. La semaine dernière, c'est un livre de Houellebecq qu'il avait posé sur le siège à côté de lui et pas repris en main en descendant du véhicule. Bien fait pour le nigaud qui l'aurait pris, le roman était aussi médiocre qu'un toast au surimi. Donc, l'oubli était plausible même si en vérifiant poches et mémoire, il ne trouvait rien qui manquât à l'appel.

Avait-il oublié de dire au revoir au chauffeur ? Il ne le disait jamais, pas plus qu'il ne disait bonjour en montant. Ces conducteurs de bus sont encore moins polis que la moyenne nationale. Ils ne répondent jamais et on a l'air d'un niais quand on salue un muet, c'est bien connu.

Bon, téléphonons, pensa-t-il, on verra bien. Mais il y avait longtemps qu'il s'était juré in petto de ne plus jamais céder à des mouvements d'humeur. C'était un mouvement d'humeur qui l'avait fait s'inscrire en médecine vétérinaire pour suivre une camarade de classe aux seins plantureux, qui avait abandonné l'école après quelques semaines. Lui, il avait poursuivi jusqu'au diplôme malgré sa viscérale aversion à l'égard des bêtes

Et puis, si la femme lui demandait ce qu'il avait oublié ! Car c'était une femme, il en était sûr. Les hommes ne mettent pas des annonces de ce genre. Il imaginait déjà le dialogue.

- Bonjour, le suis l'homme du bus 12.

- Ah... (Long silence, respiration asthmatique. Ou peut-être avait-elle couru.) Et, si je puis me permettre, vous avez oublié quoi ?

- Eh bien... (Il aurait dû prévoir. Préparer n'importe quoi.) En fait... Vous comprenez...

- Allô ?

- Oui, oui, je suis toujours là. Vous avez oublié quoi ?

- Mais qui êtes-vous ?

- Mon nom ne vous dirait rien.

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