Ma robe couleur du temps by Jeanne-Marie Delly

Ma robe couleur du temps by Jeanne-Marie Delly

Auteur:Jeanne-Marie Delly
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Books on Demand


XIII

Juin était venu, et la verdure, maintenant, la belle verdure des commencements d’été que le soleil n’a pas eu encore le temps de flétrir, couvrait tout le pays. Les roses fleurissaient sur le mur de mon logis, les résédas et les giroflées répandaient leurs arômes dans le parterre que Jacques Bardeaume m’avait arrangé, tout proche de la porte vitrée de mon petit salon. Car le brave garçon, aidé de son frère venu à Pâques en permission, avait repeint les boiseries de cette pièce, ciré le parquet, remis une vitre brisée. J’avais alors disposé là les meubles qui n’avaient pu trouver place dans ma chambre : le petit canapé, les bergères, le secrétaire de bois de rose, la table à incrustations de cuivre. Au mur étaient pendus des portraits d’ancêtres. Avec l’aide de Jacques, très industrieux, j’avais drapé des rideaux de soie jaune à rayures bleu pâle, un peu fanés, autour des deux fenêtres que séparait une glace étroite, devenue verdâtre, encastrée dans la boiserie. Je me trouvais ainsi en possession d’un salon charmant où je m’installais pour travailler depuis qu’il faisait chaud.

J’avais reçu quelques commandes du magasin de broderies auquel avaient agréé les modèles envoyés. Je cherchais des dessins nouveaux et, pour cela, je m’inspirais des fleurs, du feuillage que je voyais autour de moi. Mais ce travail ne me prenait pas tout mon temps. Je continuais à faire près de Catherine mon éducation de fermière et de ménagère. Puis je m’occupais des ruches que le propriétaire de la Sauvaie était venu installer au fond du jardin. Très souvent aussi, j’allais passer l’après-midi soit chez Mme Mossette, soit chez M. Rouchenne. Chez l’un et chez l’autre, je me sentais bien accueillie, réchauffée par une sympathie affectueuse. Mais j’avais un faible pour lui, mon vieil ami, discret et serviable, pour sa maison ancienne et son jardin fleuri qui sentait le tilleul, le jasmin et maintenant la rose.

J’allais broder près de lui sous le grand marronnier, qui étendait son ombre devant le logis, ou bien dans la salle fraîche d’où le soleil se retirait à midi. Nous causions paisiblement, gaiement parfois, car M. Rouchenne n’était pas triste et il avait un tour d’esprit fin, souvent amusant sous sa bonhomie pensive, mais jamais méchant ou railleur. Il me disait : « Vous êtes comme une fleur dans ma vie. C’est bon, quand on arrive vers la fin, de voir un joli sourire jeune, des yeux si beaux qui vous réchauffent un peu et qui ont l’air de s’intéresser au vieux bonhomme que je suis. »

Je répondais, en pressant la main ridée couleur de terre brune :

– Ils n’en ont pas seulement l’air, ils s’y intéressent vraiment. Et c’est moi, monsieur Rouchenne, qui dois vous être reconnaissante à jamais d’accueillir avec cette bonté paternelle une orpheline qui sent si cruellement le vide laissé par l’absence de toute affection familiale.

Ainsi, jour par jour, se fortifiait une amitié que nous ne manifestions guère en paroles, mais que nous sentions tous deux, si confiante et si sûre, au fond du cœur.



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