Louis Breuil, histoire d'un pantouflard by Henry Gréville

Louis Breuil, histoire d'un pantouflard by Henry Gréville

Auteur:Henry Gréville
Format: epub


X

À la même heure, Marc Dangier, qui était de grand-garde ce jour-là, marquait le pas dans la neige durcie, où les pieds des oiseaux avaient tracé de fantastiques dessins qui rappelaient les caractères cunéiformes. Il marchait vite pour se réchauffer, car le froid le mordait cruellement, et, tout en guettant de l’œil le coteau de Châtillon qu’il avait en face de lui, il pensait à toutes les choses douces et tristes du passé ! Que Marine était digne et charmante dans ces jours de joie où ni la France ni la jeune fille n’avaient connu le contact de l’étranger ! Dans sa pensée, il unissait volontiers ces deux amours si cruellement éprouvés tous les deux ; c’est quand il entrevoyait la délivrance qu’il poussait un soupir, en se disant que, quoi qu’il arrivât, la patrie reprendrait un jour possession d’elle-même, tandis que celle qu’il aimait était à jamais la femme d’un autre.

– Que fait-elle à présent ? se demandait-il pour la millième fois, lorsque sur la neige, assombrie par la nuit, mais toujours lumineuse, il vit s’avancer, venant de Paris, une forme mince qui marchait vite.

– Qui vive ? cria-t-il machinalement en s’arrêtant dans sa promenade.

– C’est moi, Marc ; la tante Dangier, répondit une voix faible et douce qui prenait, en traversant l’air glacé, une limpidité mystérieuse.

– Vous, ma tante ? À cette heure, à cette distance ! Oh ! ma tante chérie, faut-il que vous ayez perdu la tête !

Il l’embrassait de toutes ses forces. Ne représentait-elle pas Paris, cette vaillante petite femme si frêle qu’un enfant l’eût fait tomber en la poussant un peu fort ; Paris et la famille, et la vie elle-même, qui venaient aux grand-gardes, puisque les grand-gardes ne pouvaient venir à eux ?

– Je suis venue te souhaiter une bonne année, dit mademoiselle Dangier en retournant avec son neveu vers la cahute qui servait de poste. Quand je suis rentrée dans Paris, j’ai apporté bien des petites provisions. Il faut que tu fasses un bon petit dîner, n’est-ce pas, Marc ?

Elle tirait d’un panier une petite boîte de thon mariné conservée pour ce jour avec un soin jaloux, six pommes de terre cuites sous la cendre, deux biscuits de Reims, et surtout une bouteille de vieux clos-vougeot, qu’elle posa avec orgueil sur la table boiteuse.

– Il n’y a plus que celle-là, mon neveu ; c’est toi qui la boiras.

– Ô ma tante ! fit Marc en pressant sur son cœur la vieille demoiselle qui souriait, les yeux brillants.

– Et maintenant je m’en retourne. La nuit est venue, et ce n’est pas sûr, par ici ; il y tombe des obus.

Le canon ennemi ponctuait leurs phrases par des coups espacés. Marc regarda la plaine blanche qui le séparait de Paris.

– Si loin, ma tante, toute seule...

Derrière eux, à quelques centaines de mètres, un obus tomba dans la neige.

– Allez, allez vite, lui dit-il en l’embrassant. Je n’aurai pas de repos que je ne vous aie vue dépasser le fort. Et merci, ma tante, merci



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