L'Ivrogne et l'Emmerdeur (Missives) (French Edition) by Georges Hyvernaud

L'Ivrogne et l'Emmerdeur (Missives) (French Edition) by Georges Hyvernaud

Auteur:Georges Hyvernaud [Hyvernaud, Georges]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Seghers (réédition numérique FeniXX)
Publié: 1990-12-30T23:00:00+00:00


20 janvier 1940

Samedi ! Il y a une semaine, nous étions ensemble. Et dans un mois peut-être... Mais il ne faut pas faire de projets. Il ne faut compter sur rien. Sagesse des temps troublés. (Ça n’empêche pas de demander des laissez-passer, éventuellement.) Voilà deux mois que je constate qu’il est imprudent de croire à la stabilité des situations actuelles. J’ai reçu aujourd’hui ta lettre de mardi. Tu as parfaitement saisi tout ce que je voulais te suggérer. Depuis, tu as lu les journaux, tu sais comme tout le monde que pour ce coup on en restera là. J’ignore ce qu’a été, au juste, la menace contre la Belgique. Il doit y avoir tout un jeu diplomatique secret, tout un système de propagande souterraine qui nous échappe entièrement. Les fausses nouvelles sont une des armes les plus efficaces de toutes les nations en guerre. Mais il arrive quelquefois que les nouvelles soient vraies. Alors, on s’y perd. D’autant plus que les intérêts opposés ne sont pas toujours clairs. « Si j’étais le gouvernement », je me demande bien ce que je souhaiterais : que l’Allemagne respecte la Belgique ou qu’elle ne la respecte pas. A partir de cette incertitude, toutes les suppositions sont permises. Mais, par bonheur, je ne suis pas le gouvernement, et j’en resterai là de mes divagations à la Geneviève Tabouis.

Je ne suis pas le gouvernement : je suis seulement un pauvre pionnier frigorifié. Le thermomètre se dépasse : quinze au-dessous de zéro cette nuit, dans une baraque. J’ai fait allègrement à pied, les oreilles cuites de froid, douze ou treize kilomètres ce matin. J’avais deux pull-overs et un cache-nez jusqu’aux yeux. C’était très agréable ; mais que les pauvres soldats sont à plaindre, traînant des branches, coupant des arbres tout le jour dans cet intenable climat. Quant à ceux qui sont dans cet Est où rien de notable n’est jamais à signaler, on n’ose pas y penser.

A mon retour, je suis tombé en arrêt devant trois ou quatre maisons basses à hauts toits. Des maisons jaune et noir, un peu chahutées par le temps, posées de travers sur la route. Ça, une palissade marron, le trottoir bossué, la route au milieu, couverte de neige, piétinée à droite et à gauche : tu vois ce que ça donnait : un Vlaminck, bien sûr. Un Vlaminck que j’ai longuement aimé.

Et sur ce rappel de communes admirations, je vais manger... mais MANGER SEUL ! 0 suavité de cet adjectif qualificatif. Mon emmerdeur57 quotidien me lâche pour ce soir et demain. Il y a un vers de Baudelaire :

Ayant peur de mourir lorsque je couche seul...



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