L’insoumis by Judith Perrignon

L’insoumis by Judith Perrignon

Auteur:Judith Perrignon [Perrignon, Judith]
La langue: fra
Format: epub
Tags: A_Poster, Littérature Française, Essai
Éditeur: Grasset
Publié: 2019-11-12T23:00:00+00:00


Sur le ring tout est plus simple. Tout converge : le rêve, le combat, la gloire même si les foules le huent à peine est-il entré sautillant dans son peignoir brodé de ce nouveau nom, Mohamed Ali, que la presse et ses adversaires refusent de prononcer. Sur le ring, tout est synchronisé : sa tête qui parle, insulte tout en cognant, ses jambes qui changent de garde à la vitesse de l’éclair, dansent, tournent, désarçonnent l’adversaire. « Je n’ai jamais combattu quelqu’un qui bouge aussi bien que lui. Il se déplaçait avec tant de grâce pendant les trois minutes de chacun des quinze rounds… C’est dur d’atteindre une cible en mouvement, il bougeait tout le temps », dira Floyd Patterson, sans rancune. Car personne n’a oublié le combat de novembre 1965.

— Un combat particulièrement moche, nous avait raconté Robert Lipsyte. Par une étrange ironie du sort, Floyd Patterson était ce type que la NAACP voulait empêcher d’affronter Sonny Liston pour préserver son image aux yeux des jeunes. Mais à son retour, des années plus tard, il incarnait le christianisme. Bizarrement, alors même qu’il était noir, il représentait les Blancs. Et l’idée qu’un musulman puisse être champion du monde des poids lourds le révoltait. Il refusait de l’appeler Mohamed Ali. Ça a été affreux. Floyd s’était fait mal au dos, mais c’était un vrai croyant, prêt à se battre jusqu’à la mort. Il n’aurait jamais jeté l’éponge. Mohamed Ali frappait juste assez fort pour lui faire mal sans le mettre K.-O. Et les reprises ont continué à s’enchaîner, de plus en plus pénibles. « Appelle-moi par mon nom ! » « Oui… champion. » « Attaque-moi, t’es mauvais ! » L’image qui me vient, c’est celle d’un gamin arrachant les ailes d’un papillon. Ali a montré cet autre aspect de sa personnalité. Comme quand il a pris ses distances avec Malcolm X. C’était un type compliqué. Un délicieux mélange de narcissisme avec une ombre de cruauté.

Ce jour-là, ses poings ne cherchent pas le coup fatal, il veut que ça dure, marquer les esprits, il fait mal à petit feu, sans matraquer. « Ali, mets le K.-O. pour l’amour de Dieu ! » hurle Angelo Dundee depuis son coin, lui aussi pressé d’en finir. L’entraîneur est toujours là, petit rital passionné qui ne se mêle de rien d’autre que de boxe, épaulé par Ferdie Pacheco le soigneur. Pour le reste, que des musulmans noirs autour de lui. Son frère qui a infligé la double peine à la famille Clay, puisqu’il est converti lui aussi, rebaptisé Rahman Ali et plus raide encore que Mohamed. Et Herbert qui veille, fils d’Elijah qui l’a nommé manager. Quant à Bundini son partenaire poète, l’inventeur du papillon et de l’abeille, il n’est plus là. Il aime trop la fête, l’alcool et les femmes blanches pour figurer sur la photo.

Après la victoire, le commentateur de la télévison tend son micro :

— Et voilà le champion Mohamed Ali…

Il a prononcé son nom. Il a compris la violente leçon que vient d’infliger le boxeur.



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