L'Imparfait by Jacques Chessex

L'Imparfait by Jacques Chessex

Auteur:Jacques Chessex
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Bernard Campiche Editeur
Publié: 2013-07-09T00:00:00+00:00


Mais l’amour ? La compassion ? Je pense à la tristesse d’un homme qui ne peut pas ne pas savoir qu’il se suicide dans l’imparfait. Je suis peut-être ingrat, ou méchant, à parler ici de ratage. Elle est peut-être une injure à la mémoire et à la dignité de mon père, cette façon de définir, jusqu’à sa mort, d’un temps du verbe si habile à faire souffrir.

Mais moi, regardant dans autrefois pour mieux éprouver l’instant (le mesurer, l’écouter, le consommer), je ressens jusqu’à l’horreur, qui est alors un plaisir sombre, quelque chose comme la volupté de la plainte chez les Romantiques ou le grotesque triste de Flaubert, le goût du vide sur ma langue comme un morceau de glace qui fond.

J’ai parlé de musique automnale, je pourrais aussi bien dire printanière, tant de mélancolie se mêlant pour moi à ces jours de mars, avec Pâques, où la lumière est froide et le vent souffle sur des touffes d’herbe, des ruelles, des prés nus, des haies à claire-voie comme dans l’enfance déserte. Ou ces jours, ces après-midi d’enfance où le désert gagne, et le sentiment de la solitude, déjà de l’inutilité de tout « acte ». Je regardais mes camarades d’école et je m’étonnais de leur insupportable inconscience de ces choses. J’étais un enfant-adulte, je l’ai dit, et sans doute ressentais-je, comme de secrètes blessures en moi, la blessure de mon père et son mensonge.

Le mensonge aussi, c’est l’imparfait. Non pour le menteur, qui peut y affiner un art, mais pour la victime du menteur, laquelle éprouve de façon sournoise la fêlure, la faille, la dissonance, – l’imperfection de l’accord entre le menteur et ses témoins.

Le vent soufflait sur la prairie vide, la lumière était froide, l’après-midi interminable, un goût d’ennui était en tout, colorait tout, épuisait tout. Je n’étais pas triste, je ne pleurais pas, je ne me plaignais jamais. On eût étonné chacun, à commencer par mes proches, en révélant qui j’étais. Quel âge avais-je ? Sept ans, huit ans… C’est le seul temps désagréable de tout mon souvenir.



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