L'Hôpital en danger by Véronique Vasseur & Vasseur Véronique

L'Hôpital en danger by Véronique Vasseur & Vasseur Véronique

Auteur:Véronique Vasseur & Vasseur Véronique
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion


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Ce matin, à la visite, à part deux jeunes, dix patients âgés dont le retour à domicile n’est en rien évident. Avant d’atterrir à l’hôpital, je ne me rendais pas compte du pourcentage énorme et grandissant d’octogénaires, nonagénaires et centenaires. En prison, à part quelques-uns, les malades étaient en effet plutôt jeunes et autonomes. Mais depuis mon arrivée à Saint-Antoine, le vieillissement de la population me frappe chaque jour davantage. Le manque d’anticipation des structures sociales à ce papy-boom me paraît d’une gravité exemplaire.

En toute franchise, l’épisode malheureux de cette canicule ne m’a absolument pas étonnée. J’avais même décidé, quelques mois avant le drame, d’écrire un livre sur le sujet, idée rangée au placard avec les événements du mois d’août. Ce que je vois à l’hôpital est le résultat, en concentré, de l’égoïsme frappant d’une société profondément irresponsable, où on oublie ses voisins de palier et où personne ne veut s’encombrer de ses vieux.

Les actifs rament pour conserver leur travail et ne pensent qu’à partir en vacances. On oublie ceux qui restent sur le bord de la route, mais on s’indigne haut et fort en écoutant les infos après une bonne journée à la plage. Personne ne se croit responsable, encore moins coupable, mais aime désigner l’autre comme bouc émissaire alors qu’il s’agit de l’affaire de tous.

Moi qui ai toujours vécu avec mes deux grands-mères jusqu’à leur mort, passant des vacances avec elles, je sais qu’il ne serait jamais venu à l’esprit de mes parents de les placer dans des institutions pour s’en débarrasser. À quoi tiennent cette indifférence, cet abandon même ? S’agit-il d’une question de culture ? D’une « évolution » – le terme n’est pas approprié – de notre société de plus en plus déshumanisée vers un individualisme forcené ? J’en ai beaucoup parlé avec un médecin marocain du service, qui s’est avoué très choqué évidemment, puisqu’au Proche et au Moyen-Orient, les anciens restent jusqu’à la fin dans leur famille. Mais, sans aller aussi loin, en province et surtout à la campagne, les vieux restent avec leurs enfants. Le phénomène est donc un problème qui touche essentiellement les grandes villes.

La répartition des décès par quartier parisien durant la canicule est, sur ce point, particulièrement parlante, éloquente même. Saint-Antoine arrive dans les premiers après Bichat, situé dans le 18e arrondissement. Les hôpitaux des zones plus résidentielles et chics n’ont, eux, presque pas de morts. C’est dans les quartiers populaires et les plus pauvres que la canicule a fait des ravages. Solitude, isolement, précarité, perte d’autonomie dans des sixièmes sans ascenseur, voilà où la mort a fauché.

J’ai ainsi vu arriver certaines personnes dont je n’aurais jamais imaginé qu’elles aient pu parvenir à vivre seules jusqu’ici. Pourtant, la grande majorité souhaite rester à domicile. Même si leurs logements sont insalubres, sans la moindre hygiène, ils s’accrochent à leur univers, à leurs souvenirs, refusent d’être déracinés une deuxième fois après le traumatisme de l’hôpital. Ils rejettent même l’idée d’une aide ménagère ou d’une infirmière à domicile, ne « voulant pas d’étrangers chez eux ».



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