L'Europe barbare (French Edition) by LOWE Keith

Auteur:LOWE, Keith [LOWE, Keith]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: PLON
Publié: 2013-02-27T23:00:00+00:00

C’est dans ce contexte qu’il faut considérer le massacre de Zawadka Morochowska évoqué en ouverture de ce chapitre. Considéré isolément, il serait facile d’aboutir à la conclusion qu’il s’agissait d’un crime purement polonais, commis de sang-froid au nom du nettoyage ethnique. Dès que l’on élargit un peu la chronologie, on découvre que les unités impliquées dans ce massacre avaient connu des pertes lors d’une attaque de partisans de l’UPA un jour plus tôt – cette tuerie ne paraît donc plus avoir été perpétrée de sang-froid718. Or, quand on étend encore un peu plus la période prise en compte, on s’aperçoit que certains des individus impliqués dans ce massacre étaient des vétérans de la guerre civile entre Polonais et Ukrainiens en Volhynie, et la vengeance commence alors à se présenter comme la motivation dominante719. Ce contexte ne justifie en rien ce qui s’est passé à Zawadka Morochowska, pas davantage que les attaques contre tel ou tel village ukrainien dans le sud-est de la Pologne en 1946 – mais il l’explique en partie.

Selon les estimations les plus prudentes, autour de 50 000 civils polonais furent tués par les partisans ukrainiens de Volhynie, et 20 000 à 30 000 autres en Galicie. Au total, on estime que, dans l’ensemble des régions frontalières, cette guerre civile vit périr 90 000 Polonais. Les morts ukrainiens se chiffrent également par milliers, mais, comme les Polonais ne s’engagèrent pas dans ce conflit en planifiant explicitement un génocide, la faction ukrainienne perdit bien moins d’individus qu’elle n’en tua – peut-être 20 000 en tout720. Comme pour d’autres régions de l’Europe pendant la guerre, ces chiffres sont controversés, et encore sujets à débat entre historiens polonais et ukrainiens quant à la question de savoir qui détient le plus de droits à la victimisation. Dans l’absolu, les chiffres ne comptent pas vraiment – il suffit de noter qu’une guerre civile d’une extrême violence eut lieu et que des milliers de gens sont morts dans les deux camps. Mais, à un autre niveau, ces données sont d’une importance capitale, surtout dans un climat où le nationalisme est à nouveau en plein essor d’un bout à l’autre du Vieux Continent. Naturellement, les Ukrainiens ne sont guère enclins à admettre le rôle de l’OUN et de l’UPA dans le déclenchement de ce cycle de violences et, dans leur tentative de minimiser le nombre de morts polonais, il leur arrive de déformer les chiffres. En revanche, certains Polonais manient les statistiques comme une arme dans une forme de réédition historiographique de cette guerre civile721. Dans une atmosphère aussi chargée, il est peu probable que l’on parvienne à un accord sur les chiffres – ceux que j’ai mentionnés constituent les estimations les plus impartiales aujourd’hui à notre disposition.

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