Lettre anonyme (LE DILETTANTE) (French Edition) by Georges Hyvernaud

Lettre anonyme (LE DILETTANTE) (French Edition) by Georges Hyvernaud

Auteur:Georges Hyvernaud [Hyvernaud, Georges]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782842633592
Éditeur: Le Dilettante
Publié: 2013-03-19T23:00:00+00:00


On enterre Cléophas

– Quand même, dit Lou, en ajustant son soutien-gorge.

– Qu’est-ce que tu dis ?

Assis sur le lit dévasté, je considérais mes cuisses creuses et les durillons de mes orteils. Mon corps me dégoûte un peu dans ces moments-là.

– Je dis quand même, dit Lou.

Encore quelque chose qui ne marche pas. Elle m’agace, à jouer les pécheresses consternées.

– Et pourrait-on savoir pourquoi tu dis quand même ?

Lou hausse les épaules. Soupir de découragement.

– Parce qu’on n’aurait pas dû, gémit-elle, ça me fait drôle. C’est pour ça que je dis quand même.

– On n’aurait pas dû ?

En certaines occasions, je manque de subtilité. Peut-être réfléchirais-je plus efficacement si j’avais seulement un pantalon. Je cherche le mien des yeux : il pend à la poignée de la fenêtre. Il a l’air niais et piteux. Tout à l’air piteux dans la chambre, sous cette lumière de jour de pluie. Je risque :

– À cause de mon oncle ?

– Bien sûr, réplique Lou. À cause de ton oncle, parfaitement. Ça ne te fait pas drôle, à toi ?

– Mon Dieu…

Mon oncle Cléophas1 est décédé hier, muni, je l’espère, des sacrements de l’Église, en sa maison de Champreux-le-Haut.

Le patron m’a accordé deux jours de congé pour que je puisse assister à l’enterrement. Ce serait dommage que je rate ça. Il s’est montré bienveillant, le patron, presque paternel – pas son genre, pourtant. Il faisait des whm whm apitoyés, réclamait des détails, méditait toutes mes réponses en hochant sa longue figure anglicane.

– Et quelle est la maladie qui a emporté monsieur votre oncle ?

À tout hasard, j’ai parlé de crise cardiaque.

– Bien sûr, le cœur, a fait le patron tout soucieux. Je vois, je vois. Et quel âge avait-il, monsieur votre oncle ?… Soixante-huit ans. Whm, whm…

Pourquoi n’avoir pas dit quatre-vingt-dix ans, quatre-vingt-quinze ans ? J’ai cru remarquer comme une petite crispation d’angoisse dans le vieux visage empesé du patron. Il ne doit pas en être très loin, des soixante-huit ans. J’aurais dû y penser. Par ma faute, il se sentait fragile, menacé, affreusement vulnérable. J’avais manqué de tact, et même de charité. D’autant plus que je n’ai aucune idée de l’âge auquel a bien pu parvenir mon oncle Cléophas.

Heureusement, à cet endroit de notre entretien, le téléphone a sonné. Le patron a aussitôt repris sa voix exacte et sèche :

– Allô… Parfaitement… Quel tarif ?… Mais pas du tout. Dites-lui qu’il observe mes instructions à la lettre… Vous entendez ? À la lettre.

Il a reposé l’écouteur, m’a assuré à nouveau de sa vive, de sa très vive sympathie, et longuement, affectueusement, cérémonieusement, m’a serré la main. La scène ne manquait pas de style, devant cet austère décor de classeurs en chêne ciré. Un bois, le chêne, dont on fait aussi les cercueils.

Je suis descendu au bureau pour avertir Chapoule que j’avais perdu un oncle, en province, et que je serais absent pendant deux jours.

– Ah oui, a fait Chapoule.

Lui, au moins, il s’en fichait. Je me suis avisé que c’était encore une drôle d’expression, perdre un oncle.



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