L'esprit de famille by Janine Boissard

L'esprit de famille by Janine Boissard

Auteur:Janine Boissard [Boissard, Janine]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2012-08-11T17:04:07+00:00


CHAPITRE XVI

MORT D’UN POMMIER

Ce matin, 3 janvier, un pommier est tombé dans l’allée. On s’en est aperçu au moment de prendre le petit déjeuner. Étendu sur le gravier, il barrait le chemin entre le garage et la grille.

« C’était donc ça, le boucan de cette nuit », a dit Cécile.

Nous nous sommes tous retrouvés, en vêtements de nuit, autour de la victime. Ses racines étaient courtes et rongées ; dans le trou, il y avait comme de la moisissure. Papa s’est accroupi. Quand il l’a touché, le bois s’est effrité entre ses doigts.

« C’est incompréhensible, a-t-il dit en considérant les cinq autres pommiers, en pleine santé. Le sol est le même, l’exposition aussi ; et celui-là était complètement pourri !

– Comme Jean-Marc », a dit Cécile.

L’arbre était trop lourd pour qu’on puisse, même en s’y mettant tous, dégager le chemin. Papa a un dos comme un vieux mur fêlé, il le dit lui-même, et en le voyant se baisser, maman, de la fenêtre de la cuisine, poussait des cris préventifs. Il nous a regardées avec rancune.

« Je veux bien le laisser là si vous me dites comment j’irai travailler ! »

Nous avons compris qu’il était triste pour l’arbre et Bernadette a eu l’idée d’appeler le voisin à la rescousse. M. Tavernier, surnommé « Grosso-modo » parce qu’il le dit tout le temps, est retraité de la mercerie. Sa maison, dans la même rue que la nôtre, est entourée, ou plutôt posée dans un jardin qui ressemble à un napperon brodé sur lequel il aurait essayé toutes les sortes de points.

Il est arrivé sur son mini-tracteur et son air modeste montrait son plaisir et sa fierté. Il a refusé toute aide. « Pas vous, docteur ! Gardez vos mains pour vos malades »… On l’a regardé ligoter le pommier avant de le remorquer jusqu’au bûcher, ses racines laissant des traces sur le gravier comme les sabots d’un animal mort.

Dans la terre bouleversée, de gros vers s’affolaient. « Des lombrics ! » s’est écrié Cécile en s’empressant de les recouvrir, ces animaux détestant, paraît-il, la lumière. Elle s’est fait un plaisir de nous apprendre que le hic avec eux était qu’on discernait mal l’anus de la tête ; lacune comblée par le fait, a conclu notre scientifique, que les lombrics jouissaient d’un sexe double.

Bernadette a reçu l’autorisation de tronçonner le pommier avec la scie électrique. Elle aime ce genre de travail et j’imaginais l’odeur du bois frais, la tendre sciure.

Grosso-modo a accepté de venir prendre un café et nous nous sommes tous retrouvés autour de la table de la cuisine. La princesse, bien sûr, n’avait pas fait long feu au jardin. Une odeur de pain grillé montait de la serviette ; toute chaude quand on y posait la main. Notre voisin a expliqué que c’était son second petit déjeuner. Bien que retraité, il se lève tous les matins à six heures pour garder la forme.

« Si vous voulez mon avis, a-t-il dit, la fin de tout, c’est, grosso-modo, les grasses matinées. »

Inutile de dire que Claire n’a pas manifesté.



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