Les trois villes - Paris by Émile Zola

Les trois villes - Paris by Émile Zola

Auteur:Émile Zola [Zola, Émile]
La langue: rus
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


IV

L’après-midi de ce même jour, Guillaume fut pris d’un tel besoin de grand air et d’espace, que Pierre consentit à faire avec lui une longue promenade dans le bois de Boulogne, voisin de leur petite maison. À son retour du ministère, pendant le déjeuner, il avait conté à son frère comment le gouvernement entendait se débarrasser une fois de plus de Nicolas Barthès ; et tous deux en avaient l’âme assombrie, ne sachant de quelle façon annoncer l’exil au vieil homme, se donnant jusqu’au soir pour trouver la manière d’en adoucir l’amertume. Ils en causeraient en marchant. Puis, pourquoi se cacher davantage, pourquoi ne pas risquer cette première sortie, puisque rien décidément ne semblait menacer Guillaume ? Et les deux frères entrèrent dans le Bois par la porte des Sablons, qui se trouvait prochaine.

On était aux derniers jours de mars, le Bois commençait à verdir, mais si tendrement, que les pointes légères des feuilles n’étaient encore, au travers des massifs, qu’une mousse pâle, une dentelle d’une infinie délicatesse. Les averses continues de la nuit et de la matinée avaient cessé, le ciel restait d’un gris de cendre fine, et cela était d’une exquise fraîcheur, d’une enfance ingénue, ce Bois renaissant, trempé d’eau, dans la douceur immobile de l’air. Les réjouissances de la mi-carême avaient dû attirer la grande foule, au centre de Paris, sur le passage des chars, car il n’y avait, par les allées, que des cavaliers et des équipages, de belles promeneuses descendues des coupés et des landaus, avec des nourrices enrubannées, portant des poupons en pelisse de dentelle, toute la haute élégance du Bois, tout le mouvement mondain des jours choisis, où les petites gens n’y viennent point.

À peine quelques bourgeoises des quartiers voisins étaient-elles sur les bancs et dans les fourrés, une broderie aux doigts, à regarder jouer leurs enfants.

Pierre et Guillaume gagnèrent l’allée de Longchamp, qu’ils suivirent jusqu’à la route de Madrid aux Lacs. Là, ils s’enfoncèrent parmi les arbres, ils descendirent le cours du petit ruisseau de Longchamp. Leur projet était de gagner les lacs, d’en faire le tour, puis de revenir par la porte Maillot. Mais le taillis qu’ils traversaient était d’une solitude si calme et si charmante, dans cette enfance du printemps, qu’ils cédèrent au désir de s’asseoir, pour goûter le délicieux repos. Un tronc d’arbre leur servit de banc, ils purent se croire très loin, au fond d’une forêt véritable. Et Guillaume en faisait le rêve, de cette vraie forêt, au sortir de son long emprisonnement volontaire. Ah ! le libre espace, l’air sain qui souffle dans les branches, tout le vaste monde qui devrait être le domaine inaliénable de l’homme ! Le nom de Barthès, de l’éternel prisonnier, revint sur ses lèvres. Il soupira, repris de tristesse. Le tourment d’un seul, frappé sans cesse dans sa liberté, suffisait à lui gâter ce grand air pur, si doux à respirer.

« Que lui diras-tu ? Il faut pourtant le prévenir. L’exil vaut mieux encore que la prison. »

Pierre eut un vague geste désolé.



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