Les talons rouges by Antoine de Baecque

Les talons rouges by Antoine de Baecque

Auteur:Antoine de Baecque [Antoine de Baecque]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock
Publié: 2000-01-02T00:00:00+00:00


VI

Au plus profond du tumulte

Louis Villemort a décidé d’humilier Louis XVI. Il confie son projet aux Jacobins, lors d’une intervention à l’ironie railleuse, commentant la façon dont certains députés, des « législateurs devenus tapissiers », préparent la venue du roi dans l’Assemblée à l’occasion de sa prestation de serment à la Constitution. C’est ce discours, dont Louis a parlé à Marie dans une de ses lettres, qui lui vaut les félicitations de Robespierre et provoque les larmes des auditeurs. Mais des larmes de rire. « Ils suent sang et eau pour préparer le trône où doivent reposer les fesses du commis de la nation, lance ainsi Villemort à propos des députés royalistes. Ils descendent le bureau des secrétaires afin de laisser un plus grand espace à l’idole pour gesticuler à son aise ; nos ingénieux décorateurs constitutionnels ne négligent rien pour recevoir d’une manière digne d’elle Sa Large Hautesse, Sire de France. » Ce qui révolte le jeune Jacobin n’est pas tant la présence d’un roi au milieu des députés du peuple qu’une étiquette humiliante. « Conservons une belle attitude, propose Villemort. Montrons au roi que nous ne sommes point des sujets, que nous ne sommes point à lui, qu’il est à nous au contraire, et qu’en lui faisant l’honneur de le recevoir nous entendons que sa tête se courbe la première devant celles de nos représentants. Nous exigeons que le roi respecte son souverain le peuple. Or le peuple est sévère, et nous souhaitons que la cérémonie qui accueille Louis XVI le soit aussi. »

Ce débat sur les attitudes et les symboles passionne les contemporains. Chaque geste compte, chaque habit, chaque place, chaque ballet de chaises et de fauteuils. Mieux même : le déroulement de la cérémonie dit indirectement et pourtant très clairement l’état des forces en présence. Louis le républicain ne peut pas encore dire devant Louis le roi qu’il rêve de République, mais il sait qu’en remettant en cause l’ancien rituel royal il peut faire comprendre qui, désormais, possède le pouvoir politique. Alors qu’on ne doit pas parler de République dans l’Assemblée, les symboles parviennent à le faire : la sévérité des députés patriotes peut tenir ce discours des attitudes. Louis Villemort a préparé son coup, qui doit éclater tel le tonnerre en pleine Assemblée, en présence et aux dépens du roi. La réunion des comploteurs a eu lieu aux Jacobins ; ils ont mis au point leur stratégie, misant sur la surprise des autres députés et, surtout, l’effet d’entraînement mécanique que pourra provoquer leur mouvement groupé.

Quand le roi entre dans l’Assemblée, le 19 octobre 1791 en début d’après-midi, tous les députés, debout, l’applaudissent pour le remercier de sa présence en ce jour solennel. Le président de la séance, Thouret, un modéré qui lui est favorable, donne la parole au monarque. Mais à peine Louis XVI a-t-il commencé à prêter serment, debout devant l’Assemblée – « Je viens consacrer ici solennellement l’acceptation que j’ai donnée à l’acte constitutionnel ; en conséquence, je jure… » –, que les députés, au signal de Villemort, de la gauche vers la droite, s’assoient.



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