Les Sirènes de Zicatela by Claude Vaillancourt

Les Sirènes de Zicatela by Claude Vaillancourt

Auteur:Claude Vaillancourt
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2014-02-10T00:00:00+00:00


21

Une rencontre imprévue

Aïcha s’assit à la cafétéria de l’université avec son plateau sur lequel on trouvait une frugale salade et un jus. Elle fut surprise de voir droit devant elle la tante de Julien, Élise Lapalme, professeure de sciences politiques très réputée. Voulant éviter un malaise, elle pensa changer de place, mais la tante la scrutait du regard, avec l’air de se demander où donc elle avait vu cette tête-là. Puis un sourire illumina son visage.

— Tu es l’amie de Julien, je te reconnais. Tu viens t’asseoir avec moi ?

Elles ne s’étaient vues que deux fois, la première lors d’une rencontre par hasard, au coin d’une rue près de l’université, et la seconde pendant une réunion de famille chez la mère de Julien. Quelle mémoire, tout de même ! Cette dame, avec le grand nombre d’étudiants qui défilaient dans ses cours ou qu’elle dirigeait à la maîtrise et au doctorat, devait pourtant s’embrouiller dans les visages et les noms.

— Tu te nommes Aïcha, c’est bien ça ?

— Vous savez, Julien et moi avons rompu, ça fait déjà longtemps…

— Vraiment ? Il n’aurait pas dû…

Aïcha avait hésité avant de s’asseoir avec la dame, mais cette dernière ne se plaisait sans doute pas à manger seule et son invitation ne laissait pas vraiment place au refus.

— Et pourquoi donc vous êtes-vous séparés ?

— Oh ! je n’ai pas vraiment envie de parler de ça, vous comprenez…

— Oui, je comprends, excuse-moi, ma curiosité est parfois déplacée.

Aïcha comprenait surtout que la dame cherchait un sujet de conversation.

— Si je me souviens bien, tu prévoyais te lancer dans une maîtrise. En histoire de l’art… Tu t’intéressais au peintre Joachim Patinir…

Aïcha fut doublement étonnée, d’abord qu’Élise se souvienne de son projet et ensuite, qu’elle connaisse ce Patinir qui ne disait rien à personne.

— Tu as commencé ?

— Je ne suis pas rendue très loin. J’essaie de trouver un angle…

— Et tu as une idée ?

Normalement, Aïcha se serait tue, ou aurait dit qu’elle ne le savait pas trop. Mais elle avait été mise en confiance par la professeure qui se souvenait si bien d’elle.

— J’aimerais aborder la question de l’harmonie du monde.

Élise éclata alors de rire.

— Mais l’« harmonie du monde », ma pauvre fille, comment veux-tu traiter un pareil concept ? Et d’abord, est-ce que ça existe ?

Aïcha regrettait de s’être fait prendre au piège. Les professeurs l’avaient toujours intimidée. Peut-être était-ce culturel, à cause de ses origines marocaines, ses compatriotes témoignant d’un respect considérable envers les professeurs. Peut-être était-ce sa personnalité qui la rendait toute petite devant ces monstres de savoir qu’elle imaginait être les professeurs d’université. Avec les femmes, c’était pire ! Il lui semblait que pour percer dans le dur monde universitaire, les femmes démontraient encore plus d’intransigeance, et l’exigeaient tout autant de leurs étudiantes. Malgré tout, elle tenta de se défendre.

— L’harmonie du monde, c’est aussi le titre d’un livre qu’on a écrit sur ce peintre. Il me semblait possible de développer cette idée. Après tout, n’est-ce pas ce que bien



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