Les protégés de Sainte Kinga by Marc Voltenauer

Les protégés de Sainte Kinga by Marc Voltenauer

Auteur:Marc Voltenauer
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782889441464
Éditeur: Slatkine & Cie
Publié: 2024-10-20T00:00:00+00:00


70

Aaron arriva à Grion à pied, suivi de Louise, juchée sur le dos d’une mule. Ils passèrent devant le temple. À la fontaine, une vieille femme à la peau tannée frottait son linge sur une planche avec de l’eau de lessive chargée de potasse*. Elle était vêtue d’une robe brune qui descendait sur ses sabots. De profondes rides parcouraient son visage brûlé par le soleil. Deux autres villageoises essoraient un drap, en bavardant. Ils les saluèrent gaiement avant de poursuivre leur chemin et de traverser le village jusqu’au lieu-dit Rabou.

Ferdinand, l’ami mineur d’Aaron, les attendait sur un banc, devant son chalet. En ce dimanche de juin, il était revenu depuis peu du culte auquel il se devait d’assister. Membre de la Société des chantres de Grion, sociétariat qu’il avait hérité de son père, il aimait beaucoup les cantiques, mais se serait volontiers épargné le sermon du pasteur pour s’adonner à d’autres activités. Cependant, ne pas participer au service religieux était sanctionné par une amende.

Ferdinand les invita à entrer dans son chalet en gros madriers et au toit couvert de bardeaux. La porte à double battant ouvrait sur la vaste cuisine où une marmite en fonte mijotait doucement sur le feu. De la viande de porc, des saucisses et des saucissons prêts à être fumés étaient suspendus sur des bâtons horizontaux. Une seule petite fenêtre éclairait le sol, mal nivelé, recouvert de carrons usés. Il y avait un banc, quelques tabourets et une table que Marie avait dressée pour le repas. Louise et Aaron la saluèrent et embrassèrent les deux enfants du couple.

— Va me chercher des patates et des carottes, s’il te plaît. Et prends aussi un morceau de fromage, demanda Marie à son époux.

Ferdinand saisit une corbeille, sortit du chalet et se dirigea vers la cave creusée dans la terre. Il ouvrit la trappe, descendit les marches en pierre, choisit quelques carottes et dix des plus grosses pommes de terre qu’il déposa dans son panier. Celles du fond, les petites, séparées des autres par une planche, étaient destinées aux porcs. Sur le bord des étagères, des saucissons étaient suspendus à des clous. Et au milieu de la cave, un poteau était rivé au sol et au plafond avec des tablards tout autour. Des œufs, du lait, du beurre et du fromage y étaient disposés. Ferdinand attrapa une cruche de vin, achetée pour quatre batz à l’épicerie du village, une fortune pour eux, mais l’occasion s’y prêtait.

Dans cette famille modeste, tous contribuaient à la subsistance du foyer. Même son fils de onze ans. Il était taupier et empochait cinq rappes pour chaque taupe rapportée à un membre de la municipalité. Une bouteille de vin coûtait donc huit taupes. Ferdinand aurait bien aimé être, comme son père, visiteur des morts, pour arrondir ses fins de mois et recevoir huit batz à chaque décès constaté et annoncé au pasteur. L’année précédente, treize personnes avaient rendu l’âme à Grion. De quoi gagner dix livres et quatre batz. Mais la fonction était réservée à l’un des municipaux.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.