Les offrandes by Louis Carmain

Les offrandes by Louis Carmain

Auteur:Louis Carmain
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782896498185
Éditeur: Vlb éDiteur


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Maude flânait sur le zócalo depuis environ dix minutes quand des coups de feu retentirent. Une rumeur tétanisante, des grondements de moteurs et des cliquetis de chenilles s’entrechoquaient. Une horde de manifestants, d’aucuns armés de fusils, se déversa sur la place. On fuyait quelque chose. L’armée, évidemment, la police fédérale. Les balles.

Des factieux essayaient d’arracher des pavés, lançaient des cailloux trouvés dans des rocailles. On brandissait les photos des 43 disparus d’Ayotzinapa comme des étendards. Des hommes armés, probablement une partie de la bande qui avait pris d’assaut les postes de péage, tentaient de former une ligne de front. Ils patentaient des barricades avec des bancs de parc renversés qui tenaient trois secondes. La plupart se réfugièrent enfin dans quelques restaurants bordant la place et commencèrent à tirer sur les soldats. Ces derniers rageaient, vociféraient des insultes confuses – ils avaient l’air fâchés de risquer la mort à Chilpancingo. Un des leurs tomba par terre, on le traîna derrière la ligne de front; un autre fut blessé à la jambe et on stationna devant lui un Humvee pendant qu’il vomissait, dans l’air, des pendejo, pendejos! Des chars d’assaut apparurent; la foule, disons, plus ordinaire, celle des roches et des pancartes, courut pour sauver sa peau. On se réfugia dans les rues avoisinantes. Les blindés avancèrent vers les restaurants transformés en fortins. Des clients se trouvaient encore sur leurs terrasses, accroupis sous les tables, des enfants pleuraient, des parents. Les tanks pointèrent leur canon vers les établissements.

Maude, qui s’était mise à couvert derrière une Mazda avec un groupe de journalistes, refusa de voir la suite. Il fallait déguerpir. Ç’aurait été bête, en effet, que son enquête s’arrête ici. Elle se leva; au même moment, un cameraman reçut une balle dans le bras. Sa caméra tomba sur le capot de la voiture. Pays de merde! hurla-t-il. Maude se recoucha par terre. Si les militaires l’attrapaient et constataient qu’elle possédait une arme, ils lui feraient sa fête. Des souvenirs du viol dont elle avait été victime, dans le jardin des sculptures, lui planèrent en tête.

Maude rampa un moment vers une rue transversale, dévora les sept derniers mètres en courant, tourna un coin de mur et put souffler un peu en se disant que la vie, au fond, oui. Illumination condensée, car on entendit aussitôt des rafales de mitraillettes. Deux jeunes hommes portant des foulards vinrent à sa rencontre, voulurent savoir si elle était indemne. Maude, adossée au mur, répétait: ça va, ça va, ça va, ça va. Ils l’invitèrent à se réfugier dans une ruelle pour qu’ils puissent l’examiner, s’assurer que tout allait bien. Maude sentit qu’ils tramaient autre chose – c’était l’éclat d’excitation dans leur œil, leur négligence des nombreux blessés qui se plaignaient, autour, et pissaient le sang. Maude avait lu, probablement sur internet, que des prédateurs profitaient des manifestations pour attraper des filles. Peut-être qu’elle paranoïait. Elle fit en tout cas mine de les suivre, leur demanda de la lâcher une seconde pour qu’elle puisse replacer son soulier. Elle prit plutôt ses jambes à son cou.



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