Les Nuits d'octobre by Gérard de Nerval

Les Nuits d'octobre by Gérard de Nerval

Auteur:Gérard de Nerval
La langue: fra
Format: epub
Tags: Classiques
Publié: 2011-10-10T00:00:00+00:00


XV. Paul Niquet

Le souper fait, nous allâmes prendre le café et le pousse-café à l’établissement célèbre de Paul Niquet. – Il y a là évidemment moins de millionnaires que chez Baratte... Les murs, très élevés et surmontés d’un vitrage, sont entièrement nus. Les pieds posent sur des dalles humides. Un comptoir immense partage en deux la salle, et sept ou huit chiffonnières, habituées de l’endroit, font tapisserie sur un banc opposé au comptoir. Le fond est occupé par une foule assez mêlée, où les disputes ne sont pas rares. Comme on ne peut pas à tout moment aller chercher la garde, – le vieux Niquet, si célèbre sous l’Empire par ses cerises à l’eau-de-vie, avait fait établir des conduits d’eau très utiles dans le cas d’une rixe violente.

On les lâche de plusieurs points de la salle sur les combattants, et, si cela ni les calme pas, on lève un certain appareil qui bouche hermétiquement l’issue. Alors, l’eau monte, et les plus furieux demandent grâce ; c’est du moins ce qui se passait autrefois.

Mon compagnon m’avertit qu’il fallait payer une tournée aux chiffonnières pour se faire un parti dans l’établissement en cas de dispute. C’est, du reste, l’usage pour les gens mis en bourgeois. Ensuite vous pouvez vous livrer sans crainte aux charmes de la société. Vous avez conquis la faveur des dames.

Une des chiffonnières demanda de l’eau-de-vie.

– Tu sais bien que ça t’est défendu ! répondit le garçon limonadier.

– Eh bien, alors, un petit verjus ! mon amour de Polyte ! Tu es si gentil avec tes beaux yeux noirs... Ah ! si j’étais encore... ce que j’ai été !

Sa main tremblante laissa échapper le petit verre plein de grains de verjus à l’eau-de-vie, que l’on ramassa aussitôt ; – les petits verres chez Paul Niquet sont épais comme des bouchons de carafe : ils rebondissent, et la liqueur seule est perdue.

– Un autre verjus ! dit mon ami.

– Toi, t’es bien zentil aussi, mon p’tit fy, lui dit la chiffonnière ; tu me happelle le p’tit Ba’as (Barras) qu’était si zentil, si zentil, avec ses cadenettes et son Zabot d’Angueleterre... Ah ! c’était z’un homme aux oiseaux, mon p’tit fy, aux oiseaux !... vrai ! z’un bel homme comme toi !

Après le second verjus, elle nous dit :

– Vous ne savez pas, mes enfants que l’ai été une des merveilleuses de ce temps-là... J’ai eu des bagues à mes doigts de pieds... Il y a des mirliflores et des généraux qui se sont battus pour moi !

– Tout ça, c’est la punition du bon Dieu ! dit un voisin. Où est-ce qu’il est à présent, ton phaéton ?

– Le bon Dieu ! dit la chiffonnière exaspérée, le bon Dieu, c’est le diable !

Un homme maigre, en habit noir râpé, qui dormait sur un banc, se leva en trébuchant :

– Si le bon Dieu, c’est le diable, alors c’est le diable qui est le bon Dieu, cela revient toujours au même. Cette brave femme fait un affreux paralogisme, dit-il en se tournant vers nous.



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