Les nourritures terrestres by Gide André

Les nourritures terrestres by Gide André

Auteur:Gide, André [Gide, André]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai, Littérature, France
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 1897-10-14T23:00:00+00:00


LIVRE CINQUIÈME

I

Pluvieuse terre de Normandie ;

campagne domestiquée…

TU disais : nous nous posséderons au printemps, sous telles branches que je connais ; tel lieu couvert et plein de mousses ; il sera telle heure du jour ; il fera telle douceur de l’air, et l’oiseau qui l’an dernier y chantait chantera. – Mais le printemps vint tard cette année ; l’air trop frais proposait une joie différente.

L’été fut languissant et tiède – mais tu comptais sur une femme qui ne vint pas. Et tu disais : cet automne du moins compensera ces mécomptes et consolera mes ennuis. Elle n’y viendra pas, je suppose – mais du moins rougiront les grands bois. Certaines journées encore douces, j’irai m’asseoir au bord de l’étang, où, l’an passé, tant de feuilles mortes tombèrent. J’attendrai l’approche du soir… D’autres soirs, je descendrai sur les lisières où les derniers rayons se reposeront. Mais l’automne fut pluvieux cette année ; les bois pourris ne se colorèrent qu’à peine, et sur les bords de l’étang débordé tu ne pouvais venir t’asseoir.

*

Cette année, je fus sans cesse occupé sur les terres. J’assistais aux récoltes et aux labours. Je pus voir l’automne avancer. La saison était incomparablement tiède, mais pluvieuse. Vers la fin de septembre, une effroyable bourrasque, qui n’arrêta pas de souffler durant douze heures, sécha les arbres d’un seul côté. Peu de temps après, les feuilles qui étaient restées à l’abri du vent se dorèrent. Je vivais si loin des hommes que cela me parut aussi important à dire que n’importe quel événement.

*

Il y a des jours et d’autres jours encore. Il y a des matins et des soirs.

Il y a des matins où l’on se lève avant l’aube, plein de torpeur. – Ô gris matin d’automne ! où l’âme s’éveille non reposée, si lasse et d’une si brûlante veillée, qu’elle souhaite dormir encore et suppute le goût de la mort. – Demain je quitte cette campagne qui grelotte ; l’herbe est pleine de givre. Je sais, comme les chiens qui, dans des cachettes de terre, ont gardé du pain et des os pour leur faim, je sais où me trouver telles voluptés réservées. Je sais, au tournant creux du ruisseau, un peu d’air tiède ; au-dessus de la barrière du bois, un tilleul d’or pas encore dépouillé ; un sourire et une caresse au petit garçon de la forge, sur le chemin de son école ; l’odeur, plus loin, d’une abondance de feuilles tombées ; une femme à qui je puis sourire : près de la hutte, un baiser à son petit enfant ; le bruit des marteaux de la forge qui, l’automne, s’entend de très loin… Est-ce tout ? – Ah ! dormons ! – c’est trop peu de chose – et je suis trop las d’espérer…

*

Départs horribles dans la demi-clarté d’avant l’aube. Grelottement de l’âme et de la chair. Vertige. On cherche ce qu’on pourrait bien emporter encore. – Qu’aimes-tu tant dans les départs, Ménalque ? Il répondit : – L’avant-goût de la mort.

Non certes ce n’est pas tant voir autre chose que me séparer de tout ce qui ne m’est pas indispensable.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.