Les Médicis by Marcel Brion

Les Médicis by Marcel Brion

Auteur:Marcel Brion [Brion, Marcel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Biographie Historique
Éditeur: TEXTO Le goût de l’histoire
Publié: 2015-03-14T23:00:00+00:00


CHAPITRE VII

LA DICTATURE DE DIEU

* * *

Ce fut un des moments les plus dramatiques de l’histoire de Florence que celui où apparut dans la cité du Lys rouge le moine ferrarais Jérôme Savonarole, apôtre de la pureté et de la liberté, renommé pour son éloquence enflammée, et soulevé par la volonté de réformer l’Église. Un proverbe ancien dit que Jupiter aveugle ceux qu’il veut perdre : Laurent le Magnifique avait toléré pendant dix ans la présence de ce terrible dominicain dans sa ville dont celui-ci aspirait à détruire les fondations politiques et à anéantir le culte de la beauté qui fit la gloire de la Renaissance. Savonarole eut l’extraordinaire chance de ne trouver en face de lui que deux adversaires réputés pour leur esprit de tolérance et de longanimité, qui supportèrent longtemps ses attaques quoiqu’il les couvrît d’injures et de menaces : Laurent de Médicis et le pape Alexandre VI Borgia.

Florence avait l’habitude des révolutions qui se déchaînaient périodiquement entre ses murs, mais les émeutes et même les guerres civiles qu’elles provoquaient ne visaient et n’aboutissaient qu’à un changement de régime ; avec Savonarole, au contraire, les consciences étaient en jeu. La réforme ne portait pas seulement sur un système de gouvernement ou la prédominance d’un parti ; elle affectait la philosophie de la vie sous tous ses aspects, moraux, esthétiques même. Aux yeux du moine ferrarais, Laurent le Magnifique était, plus encore qu’un tyran au sens politique du mot, un corrupteur des âmes. Derrière le prince-banquier, les sermons frénétiques du prédicateur de San Marco atteignaient et frappaient et renversaient tout l’édifice splendide des arts, de la culture, condamnés comme instruments du paganisme. C’est un des phénomènes psychologiques les plus singuliers de l’histoire de Florence et, plus largement, de l’histoire de la civilisation italienne dans son ensemble, que ce renversement total des mœurs, des goûts, des opinions, des manières de vivre que suscita le fanatisme savonarolien. Heureuse de vivre et de jouir, passionnée pour l’excellence des œuvres de l’Antiquité et de l’esprit qui les avait inspirées, gagnée par les humanistes à Platon et par les artistes aux formes les plus exquises de la beauté parfaite, la société florentine changea brusquement et opéra une conversion, au sens littéral du terme, si radicale que des artistes aussi paganisants que Michel-Ange et Botticelli eux-mêmes se jetèrent à corps perdu dans les rangs des « pleurnichards », les Piagnoni, comme les partisans du moine avaient été surnommés par leurs adversaires.

La victoire – provisoire – de Savonarole sur les Médicis n’avait été possible que parce que, sous son paganisme de surface, et parfois même arboré comme une mode, le peuple florentin restait profondément chrétien. Paganisme culturel et esthétique restreint, à vrai dire, à la caste des lettrés, des artistes, des amateurs d’art et de ceux qui y trouvaient la justification de leur sensualité, voire même de leur goût de la débauche. La religiosité italienne n’en avait pas été attaquée, et les plus ardents des néo-platoniciens, nous l’avons dit, espéraient une réconciliation, sur le plan métaphysique, du paganisme et du christianisme.



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