Les jonquilles fleurissent en décembre by Annie Fayet

Les jonquilles fleurissent en décembre by Annie Fayet

Auteur:Annie Fayet
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Books on Demand
Publié: 2015-01-15T00:00:00+00:00


15

Comme chaque lundi, Anna et Lucie s’activaient dans la buanderie. Avec maintenant vingt-trois enfants à charge, la corvée de lessive leur prenait une journée entière, parfois deux. Lucie était heureuse de la présence d’Anna à ses côtés. Non seulement elle lui apportait une aide précieuse, mais elle se révélait d’une compagnie très agréable. Au fil de leurs conversations, de véritables liens d’amitié s’étaient tissés entre elles, si bien que les corvées ménagères qu’elles partageaient ensemble leur paraissaient beaucoup moins pénibles et contraignantes. Même lorsqu’elles ne parlaient pas, la présence de l’autre était déjà un réconfort.

Les deux femmes retiraient la grosse lessiveuse du feu où bouillait la dernière fournée de draps, quand le ronflement d’un moteur qui se rapprochait leur fit lever la tête. Elles se figèrent, échangeant un regard furtif où se lisait la même inquiétude. Qui cela pouvait-il être ?

Avec la pénurie d’essence, les voitures se faisaient rares dans le village. Anna, qui s’apprêtait à touiller le linge avec une grande spatule en bois, suspendit son geste. De la lessiveuse, dont elle venait de retirer le couvercle, montait une longue colonne de vapeur aux senteurs âcres de savon noir. Dans la pièce, devenue brusquement silencieuse, on n’entendait plus que le chuintement des dernières bulles venant crever en surface.

Lucie fit signe à sa compagne de ne pas bouger. Elle essuya rapidement ses mains rougies par des heures de lessivage intensif et sortit dans la cour. Au même instant, une traction noire s’immobilisait devant le perron principal. Alertée par le bruit, Estelle émergeait à son tour de la cuisine. Trois hommes sortirent du véhicule. Ils semblaient issus du même moule. Costumes croisés, pardessus gris, chapeau de feutre sombre incliné sur le front. Le plus âgé s’avança vers Lucie.

— Inspecteur Legendre, fit-il en portant la main à son chapeau. Je souhaiterais m’entretenir avec le docteur de Saint Leu.

— Mon mari n’est pas là. Il est en visite chez ses patients. C’est à quel sujet ?

Avec une impolitesse délibérée, l’homme ignora la question.

— Votre centre héberge bien des orphelins de guerre, n’est-ce pas ? interrogea-t-il à son tour avec un sourire carnassier qui fit courir un frisson d’angoisse dans le dos de la jeune femme.

— En effet… Nous accueillons également des enfants de prisonniers.

— Où se trouvent les gamins en ce moment ?

— À l’école… comme tous les enfants de leur âge, je présume !

Qu’est-ce qui lui avait pris ? Pourquoi avait-elle répondu sur ce ton un peu bravache ? Ce n’était pas le moment de se mettre cet inspecteur à dos.

— Nous essayons de leur offrir une vie aussi normale que possible, ajouta-t-elle précipitamment.

Cet homme lui mettait les nerfs à vif. Elle n’aimait pas son visage triangulaire où saillait un menton en lame de couteau, ses yeux sombres presque noirs qui la scrutaient avec une tranquille assurance et surtout, ce sourire arrogant qui fleurissait à nouveau sur ses lèvres comme une menace implicite.

— C’est tout à votre honneur, chère madame ! rétorqua-t-il avec une feinte courtoisie. Dites à votre mari que je



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