Les infortunes de la vertu by Sade

Les infortunes de la vertu by Sade

Auteur:Sade
Format: epub


– Chère compagne, me dit-elle, je viens t’exhorter à prendre courage ; j’ai pleuré comme toi dans les premiers jours et maintenant l’habitude est prise, tu t’y feras comme moi ; les premiers moments sont terribles, ce n’est pas seulement l’obligation d’assouvir perpétuellement les idées effrénées de ces débauchés qui fait le supplice de notre vie, c’est la perte de notre liberté, c’est la manière brutale dont nous sommes traitées, dans cette infâme maison... Les malheureux se consolent en envoyant d’autres souffrir auprès d’eux.

Quelques cuisantes que fussent mes douleurs, je les apaisai un instant pour prier ma compagne de me mettre au fait des maux où je devais m’attendre.

– Écoute, me dit Omphale en s’asseyant près de mon lit, je vais te parler avec confiance, mais souviens-toi de n’en abuser jamais... Le plus cruel de nos maux, ma chère amie, est l’incertitude de notre sort : il est impossible de dire ce qu’on devient quand on quitte ce lieu. Nous avons autant de preuves que notre solitude nous permet d’en acquérir, que les filles réformées par les moines ne reparaissent jamais dans le monde ; eux-mêmes nous en préviennent, ils ne nous cachent pas que cette retraite est notre tombeau ; il n’y a pourtant pas d’année où il n’en sorte deux ou trois. Que deviennent-elles donc ? S’en défont-ils ? Quelquefois ils nous disent que oui, d’autres fois ils assurent que non, mais aucune de celles qui sont sorties, quelque promesse qu’elles nous aient faite de porter des plaintes contre ce couvent et de travailler à notre élargissement, aucune dis-je ne nous a jamais tenu parole. Apaisent-ils ces plaintes, ou mettent-ils ces filles hors d’état d’en faire ? Lorsque nous demandons à celles qui arrivent des nouvelles des anciennes, elles n’en ont jamais aucune connaissance.

« Que deviennent-elles donc, ces malheureuses ? voilà ce qui nous tourmente, Sophie, voilà la fatale incertitude qui fait le vrai tourment de nos malheureux jours. Il y a quatorze ans que je suis dans cette maison et voilà plus de cinquante filles que j’en vois sortir... où sont-elles ? Pourquoi toutes ayant juré de nous servir, de toutes aucune n’a-t-elle jamais tenu parole ? Notre nombre est fixé à quatre, au moins dans cette chambre, car nous sommes toutes plus que persuadées qu’il y a une autre tour qui répond à celle-ci et où ils en conservent un pareil nombre ; beaucoup de traits de leur conduite, beaucoup de leurs propos nous en ont convaincues, mais si ces compagnes existent, nous ne les avons jamais vues. Une des plus grandes preuves que nous ayons de ce fait est que nous ne servons jamais deux jours de suite ; nous fûmes employées hier, nous nous reposerons aujourd’hui ; or certainement ces débauchés ne font pas un jour d’abstinence. Rien au surplus ne légitime notre retraite, l’âge, le changement des traits, l’ennui, les dégoûts, rien autre chose que leur caprice ne les détermine à nous donner ce fatal congé dont il nous est impossible de savoir de quelle manière nous profitons.



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