Les Hommes de bonne volonté - L'Intégrale 8 (Tomes 25 à 27) (French Edition) by Jules Romains

Auteur:Jules Romains [Romains, Jules]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion
Publié: 2016-12-06T23:00:00+00:00

XXII

Toutes sortes de confidences

Les yeux noirs de Françoise brillaient, ses yeux noirs un peu allongés et en amande. Il se dit : « Elle comprend tout de suite. C'est une initiée… Elle n'a pas lu pour être à la mode ou pour faire semblant… Elle ne tient pas, non plus, à parader. Elle aime mieux entendre quelque chose, qui ajoute un peu à ce qu'elle sait, que m'étonner par ce qu'elle sait. Comme les vrais nobles, elle a le sens des obédiences naturelles et des hiérarchies.

– Vous êtes née à Paris, mademoiselle ?

– Oui, monsieur.

– Dans quel quartier, si je ne suis pas indiscret ?

– Dans le quartier de l'Europe, rue de Saint-Pétersbourg exactement… c'est ainsi qu'elle s'appelait alors… le 31 octobre 1910.

Elle avait énoncé cela avec une franchise tranquille, sans affectation quelconque dans aucun sens. Tout au plus pouvait-on entrevoir cette pensée : « Vous, vous avez le droit de tout connaître. Interrogez-moi, et je répondrai. »

Il rêva quelques secondes. Il se demandait : « Que pouvais-je faire aux environs du 31 octobre 1910 ?… Où étais-je ? » Il dit tout haut :

– C'est un quartier que je connais bien. Je vous avouerai que je ne l'aime pas follement… Mais quand j'étais élève du petit lycée Condorcet, il m'arrivait souvent de raccompagner des camarades qui demeuraient de votre côté.

– Le quartier n'est pas très curieux en effet » dit-elle en égrenant un petit rire. « Mais j'y ai vécu tellement d'années… et des années heureuses… Je m'y étais attachée.

Il faillit saisir l'occasion qui s'offrait d'amener la jeune fille à parler de son passé. Mais il crut plus amical d'attendre un peu.

– Moi » déclara-t-il avec enjouement comme s'il répondait à une question de Françoise, « je suis né Cité des Fleurs…

– … en août 1887…

– Tiens, vous savez cela ?

– Mais oui… » Elle rougit légèrement.

– En août 1887, comme vous dites… » il étouffa plaisamment un soupir. « Je parie que vous ne savez pas où est la Cité des Fleurs ?

– Est-ce que ce n'est pas du côté des Batignolles ?

– Exactement…

– Je n'ai jamais dû y aller. Mais un de mes oncles habitait Batignolles, quand j'étais petite. Il me semble bien que je l'ai entendu parler de la Cité des Fleurs, comme d'un endroit du voisinage. Il se peut même qu'il m'y ait menée au cours d'une promenade.

– Dans ce cas, malheureusement, je n'avais pas de chance de vous y rencontrer… car il y avait bien longtemps que ces parages n'étaient plus les miens. » Il songeait en regardant Françoise : « Elle a dû être une bien jolie petite fille… » Il continua : « Vous me parliez tout à l'heure du Paris de l'Avenue à flanc de colline. Je l'ai beaucoup pratiqué à l'époque où j'ai fait le plus de promenades, et de libres promenades, je veux dire qui n'étaient commandées par rien d'autre que le besoin d'aller devant moi à la découverte. C'est un Paris qui me touche infiniment ; pour des

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