Les Hommes de bonne volonté - L'Intégrale 5 (Tomes 14 à 17) (French Edition) by Jules Romains

Les Hommes de bonne volonté - L'Intégrale 5 (Tomes 14 à 17) (French Edition) by Jules Romains

Auteur:Jules Romains [Romains, Jules]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion
Publié: 2016-12-06T23:00:00+00:00


XXII

Jerphanion écrit à sa femme.

– Qui nous rendra ces jours perdus ?

Je t'aime, mon Odette chérie, je t'aime, ma petite femme adorée. Je pense constamment à toi. J'ai un besoin déchirant de ta présence. Je te parle comme si tu étais là. Je t'écris pour que tu sois là.

Même ici, en plein hiver, nous serions si bien, mon enfant adorée, toi et moi ensemble. Je vois par ma lucarne un ciel au-dessus de la plaine. Il est si bleu, malgré l'hiver ; incroyablement bleu et méridional. Il y a même, autour des grandes nappes de bleu, les nuages blancs de la belle saison. Et la plaine à distance n'a pas forcément l'air d'une plaine de janvier. Elle semble autant ponctuée de vert que de brun ou de gris. Et je vois de beaux toits allongés, vastes et simples ; des chemins ; des tournants avec leurs talus d'herbe. Pour avoir un décor de bonheur tranquille, un lieu où toi et moi nous pourrions très bien passer des jours à nous aimer, à nous promener, il suffirait de nettoyer le paysage de ces pauvres silhouettes d'hommes en bleu déteint, qui vont et viennent comme de grosses fourmis balourdes.

La plaine où le village est perdu est vraiment une plaine champêtre. Elle n'a rien de militaire. Elle redeviendrait paisible comme une plaine de Millet, une heure après que les hommes en bleu déteint auraient déguerpi. Et à sa façon le village lui-même a une beauté. C'est toujours celui dont je t'ai parlé dans mes précédentes lettres. Dire que voilà bientôt un mois que nous y sommes ! C'est effrayant parce que c'est trop beau. Je me demande toujours quelle tuile va nous tomber sur la tête. Enfin j'en profite de toutes mes forces.

L'essentiel est de durer.

Le village ressemble un peu à certains de Beauce, que nous avons vus jadis avec la voiture. (Chère voiture ! Je pense souvent à elle. Quels cahots, tu te rappelles, quand nous traversions ces villages !) Un troupeau de grandes fermes trapues, ni très près ni très écartées l'une de l'autre. De vastes murs avec très peu de fenêtres. D'amples structures rectangulaires et cubiques. Des toits largement taillés, dont les pentes se coupent à angle droit. Au milieu du village, un grand espace nu, avec une mare bordée de maçonnerie, même d'une balustrade sur un côté, qui sert d'abreuvoir : l'entrée pour les bestiaux est une pente douce qui descend dans l'eau gris-verdâtre.

Oh ! je puis te dire le nom de mon village. Je te l'ai caché jusqu'ici à la suite de cet ordre qu'on nous avait renouvelé. Mais qu'est-ce que cela peut faire ? Nous sommes si loin du front ! Et puis personne n'ouvrira ma lettre.

Il s'appelle les Grandes-Loges. Tu le trouveras peut-être sur une carte routière (à une douzaine de kilomètres au sud de Mourmelon-le-Grand). Le nom me plaît. Il est ancien, et cossu comme un bahut de gros fermier. Je nous rêve ayant ici un oncle qui serait un paysan riche, avec beaucoup de bestiaux dans son étable.



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