Les Hommes de bonne volonté - 18-21 by Jules Romains

Les Hommes de bonne volonté - 18-21 by Jules Romains

Auteur:Jules Romains [Romains, Jules]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


VI

Première soirée au Yorkshire

Le Yorkshire était plus anglais qu'américain par son aspect intérieur. Derrière quelques bouteilles de gin et de whisky, d'épais rideaux, dont la doublure de soie mauve passé regardait la rue, formaient une clôture très soigneuse, d'un caractère presque clandestin, à sa vitrine que deux lampes éclairaient faiblement. La porte elle-même était aveuglée. L'intérieur était fait d'une première salle, en longueur, occupée à gauche par un comptoir, dont l'installation et la décoration pimpantes étaient cette fois tout américaines. Des nickels luisaient partout ; le cuir des sièges avait l'air neuf ; les petits drapeaux et les petites serviettes, posés de la veille. De nombreux portraits, de dimensions diverses, au crayon, au fusain, à l'aquarelle, garnissaient les panneaux libres des murs et deux des faces d'un gros pilier carré ; c'étaient sans doute les têtes d'habitués, ou de clients occasionnels mais de distinction. Au delà, protégée par des cloisons de bois vitrées de verre opaque, s'étendait une salle sans porte, divisée elle-même en deux compartiments et traversée par un couloir central. Chaque angle de ces compartiments constituait une sorte de cosy-corner, avec une banquette en arc de cercle recouverte de velours turquoise, où deux personnes pouvaient tenir à l'aise, des capitons de même couleur formant dossier, un petit guéridon a plateau de verre devant la banquette, aux murs des panneaux de miroir, d'autres d'acajou verni, et là-dessus, de mignonnes appliques qui distribuaient une lumière de sleeping-car. Lorsque Jallez entra, deux consommateurs seulement étaient assis aux tabourets du comptoir, et causaient sans animation avec le barman, debout de l'autre côté. La salle du fond était vide.

Personne ne parut faire attention à son passage. Il pénétra directement jusqu'à la salle du fond, regarda les lieux, passa dans le second compartiment, et choisit celui des quatre coins qui s'offrait en face de lui à droite. Il s'assit de manière à voir en enfilade le couloir central et une partie de la salle du devant.

L'endroit lui plaisait. Les lumières étaient douces ; le luxe, un peu vieillot, mais nullement fané, tenait en effet de la boîte à bijoux et du sleeping-car. Le bruit de la rue s'entendait à peine. Là-bas, ces voix étrangères, au cahotement monotone, interposées entre le dehors et vous, donnaient moins le sentiment d'une gêne que celui d'une protection.

Au bout de quelques minutes, le barman, dont l'accent anglais n'était pas suspect, vint prendre ses ordres.

– Un peu plus tard… J'attends une dame.

Le barman fit un geste de la main, comme pour s'excuser de n'avoir pas deviné.

À neuf heures quarante, la porte extérieure s'ouvrit. Jallez, en se penchant, vit que c'était une femme qui entrait. Avant de la reconnaître avec certitude, il eut le temps de se dire qu'elle était fort élégante de ligne et de mise, et de celles dont la seule présence auprès d'un homme est déjà flatteuse. Elle se dirigea vers la partie arrière du bar sans trop d'hésitation. Il distingua son visage. C'était bien Elisabeth. Elle lui souriait.

– Vous ne m'avez pas attendue trop longtemps ?

– Je viens d'arriver.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.