Les Fidélités Successives by Nicolas D'Estienne D'Orves

Les Fidélités Successives by Nicolas D'Estienne D'Orves

Auteur:Nicolas D'Estienne D'Orves [d'Orves, Nicolas d'Estienne]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782298071849
Éditeur: France Loisirs
Publié: 2014-05-20T00:00:00+00:00


26

Je l’avoue sans fausse honte : les quelques jours que Victor a passés à Paris, en ce printemps de l’année 1941, comptent parmi les plus beaux souvenirs de mes années parisiennes. Si jamais tu lis ces mots, Victor, sache que je n’ai jamais été aussi proche de toi, de ta réalité intérieure. Durant ces belles journées de mai, notre alchimie fraternelle est parvenue à renaître avec l’innocence d’un premier matin.

En toi, je retrouvais ma famille, mes racines, mes origines. J’en venais même à me demander comment j’avais pu à ce point tourner le dos à mon enfance, à ces souvenirs uniques, tellement plus vivaces que la morne vie d’un citadin ou d’un banlieusard.

En te voyant marcher dans Paris de ton pas à la fois décidé et boitillant, en te voyant traverser le Pont-Neuf, longer Notre-Dame, attaquer les Champs-Élysées, la Concorde, les Invalides, les escaliers de Montmartre ou de Belleville, j’ai compris combien toi et moi étions du même sang, de la même sève. Que je le veuille ou non, Malderney coulait toujours dans mes veines. J’avais eu beau me persuader du contraire, changer de vie, de nationalité, d’identité parfois, je restais Guillaume Berkeley, fils de la flamboyante et regrettée Virginia, frère du robuste Victor, aîné admiré et jalousé, mais à qui j’avais décidé d’accorder mon pardon.

Ah, Victor ! Que j’étais heureux de te faire découvrir cette ville dont nous avions tant rêvé ensemble, assis au bord de la Coupée, à l’égal de l’Atlantide ou de la ville d’Ys. Comme j’étais fier de jouer les cicérones, d’être le guide, le pilote – le grand frère. Quelle joie de voir ton regard fasciné, émerveillé, devant le dôme du Panthéon, le clocher de Saint-Germain-des-Prés, de Saint-Sulpice, les macramés de la tour Eiffel. L’espace de quelques heures, toi et moi n’étions plus dans le Paris occupé, avec ses soldats allemands, ses vélos taxis, ses panneaux en gothique et ses drapeaux à croix gammée. Nous avancions tous deux dans un Paris rêvé par et pour nous, comme la réalisation d’un rêve d’enfance. Et puis nous étions ensemble, voilà ce qui comptait. Marchant le long de la Seine, dans les ruelles du Marais, sur les Grands Boulevards, toi et moi recréions ce lien indissoluble, oubliant les querelles, les humiliations, cette sotte aventure avec Pauline. Le plus étrange, c’est que je parvenais à anesthésier mes craintes, à ne pas penser à tout ce que mon retour à Malderney risquait de provoquer.

Toi et moi, mon frère, mon modèle, profitions des joies de l’instant, des sublimes lumières du Paris de mai, comme si cet étrange voyage de noces célébrait nos retrouvailles et nous liait à jamais.

*

Cet état de grâce ne pouvait hélas pas durer. Malgré la présence de Victor et mon désir de m’occuper de lui, j’avais un métier et des obligations.

— Invente-moi une identité et emmène-moi avec toi, m’a dit Victor, tandis que je cherchais un moyen de ne pas le laisser seul à l’appartement, craignant le retour de Marco à qui je n’avais ni l’envie de présenter mon frère, ni surtout la force d’avouer mon très prochain départ.



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