Les enfants de Cadillac by François Noudelmann

Auteur:François Noudelmann [Noudelmann, Francois]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2021-08-20T14:05:51.974949-04:00 JF
Éditeur: Gallimard
Publié: 2021-08-19T05:51:38+00:00

Le printemps précoce, en ce mois de février 1945, a fait fondre les neiges et, les luges ayant perdu leur utilité, vous dérobez des landaus pour continuer votre voyage de retour. Vous réitérez vos tactiques et vos pantalonnades lorsque vous croisez des officiels et vous cherchez des refuges temporaires pour passer les nuits. Bien que vous ayez l’air de drôles de vagabonds avec vos poussettes, vous trouvez parfois un accueil inattendu, comme celui de Suisses allemands qui vous proposent de vous cacher en attendant la fin des combats. Sans l’avoir décidé, vous arrivez en Tchécoslovaquie et, ragaillardis par ce passage de frontière, vous volez des bicyclettes pour accélérer votre course vers la liberté, bien que les routes soient raides dans ces régions montagneuses. À l’instar des Silésiens et des Allemands, les Sudètes ne semblent pas mécontents d’avoir des prisonniers français avec eux, espérant eux aussi leurs témoignages pour adoucir l’agressivité des Russes. Leur langue allemande a de curieuses intonations, mais tu sais te faire comprendre et gagner la confiance des femmes, jouant sur le langage de la séduction. La plupart d’entre elles « n’avaient plus d’homme depuis cinq ans, elles étaient désespérées et pas mécontentes de voir des Français, avec leur prestige, si on peut dire, et elles nous soignaient bien ! » te rappelles-tu avec une pointe de nostalgie. Sur la route en direction du sud-ouest, Théo et toi faites des haltes qui vous permettent non seulement de trouver le gîte et le couvert, mais aussi d’écouter la radio et d’apprendre que les troupes alliées ont pénétré en Allemagne. Les reporters français racontent la beauté et la richesse des campagnes allemandes, et les attribuent aux millions d’esclaves qui les ont entretenues et cultivées pendant cinq ans. Ils annoncent que ces prisonniers odieusement exploités vont enfin pouvoir rejoindre leur patrie. Au moment où vous entendez ce message, vous êtes allongés sur des divans, chacun une femme sudète sur les genoux et un cigare aux lèvres. Elles vous bichonnent et sortent les meilleures bouteilles de vin blanc de leur réserve, vous recouvrant de caresses dans l’espoir de vous garder le plus longtemps possible. Vous savourez ainsi les derniers moments de votre « condition servile ».

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