Les dynasties du luxe by Yann Kerlau

Auteur:Yann Kerlau [Kerlau, Yann]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Enquète
Publié: 2016-07-14T22:00:00+00:00

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La guerre de trente mois

A l’aube d’un XXIe siècle dont aucun analyste financier n’avait anticipé qu’il démarrerait par la plus grande crise économique que le monde ait connue depuis celle de 1929, le monde du luxe est sur les dents. Après les vagues de rachats d’entreprises de mode qui ont marqué les deux dernières décennies du XXe siècle, le monde du luxe guette les dernières proies possibles. Où se cachent ces trésors qui font rêver, ces entreprises mal tenues par des familles négligentes qu’un groupe de financiers et d’hommes de marketing sauront tirer de leur sommeil ? Si les acteurs de ce jeu de cache-cache sont peu nombreux, leur puissance est phénoménale. Chanel, aux mains de la famille Wertheimer, Hermès, aux mains des héritiers Dumas et Guerrand, demeurent d’imprenables forteresses. En revanche, Yves Saint Laurent, Gucci et quelques marques horlogères pourraient être demain des gibiers de première venue. Chez Gucci justement, les derniers mois ont été quelque peu chahutés par l’entrée inattendue de Prada dans le capital social de la maison florentine. Y aurait-il quelque chose à tenter du côté de l’imprévisible marque italienne ?

En ce mois de janvier 1999, confortablement installé à l’arrière de sa limousine noire, Domenico De Sole traverse Londres pour gagner l’aéroport où l’attend l’avion privé mis à sa disposition par Gucci. Sur l’écran de son ordinateur portable s’affiche la valeur de l’action Gucci qui, depuis quelques jours, connaît une spectaculaire progression. Après Prada, un second danger se profile à l’horizon pour Domenico De Sole et Tom Ford : en ce mois de janvier, l’entrée du vaisseau amiral de Bernard Arnault, tout-puissant patron du groupe LVMH, dans le capital de Gucci a fait faire un formidable bond à la cote boursière de la compagnie. D’une valeur de 22 dollars à l’introduction en Bourse, les actions sont passées à 50, puis 70 dollars. Une formidable aubaine pour les actionnaires qui ont accordé leur confiance au patron de Gucci, mais aussi pour Tom Ford et De Sole, qui en détiennent quelques millions. Avec un conseil d’administration qui leur est tout acquis et la renégociation de leurs contrats individuels, LVMH n’est peut-être, après tout, qu’un danger passager.

Pour s’assurer du maintien de la fidélité de ses équipes à la tête de la marque, Gucci emploie les grands moyens. En 1999, le créateur, outre un salaire annuel dépassant les 2 millions de dollars, reçoit 5 millions de stock-options Gucci au taux prioritaire de 65 dollars l’action. Jet privé, appartement de fonction à Londres, limousines mises à sa disposition dans toutes les capitales du monde, logement au Ritz à Paris, gardes du corps, toute la palette du luxe à grande échelle est au rendez-vous. Après avoir déclaré : « Le luxe c’est l’aisance en tout », Tom Ford peut, outre la contemplation de son compte en banque, mesurer sa réussite au torrent médiatique qui l’encense quotidiennement. Sous sa férule, la mondialisation de la marque est devenue une réalité. Le nouvel homme fort est devenu le grand prêtre du goût et décide de tout ce qui, de près ou de loin, peut avoir une influence sur les codes visuels de la maison.

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