Les douze heures noires by Simone Delattre

Les douze heures noires by Simone Delattre

Auteur:Simone Delattre [Delattre, Simone]
La langue: fra
Format: epub
Tags: essai, Historique
Publié: 2000-04-15T22:00:00+00:00


SILENCES, DÉVIANCES, TURBULENCES

À cette époque, bon gré mal gré, les membres les plus défavorisés de la population parisienne s’adjugent donc l’espace nocturne de la capitale comme un vaste labyrinthe, où se relaient des heures de circulation obstinée et des moments de halte pendant lesquels il faut savoir se faire invisible. Mais aux yeux des garants de l’ordre, toutes les déviances nocturnes ne se réduisent pas aux postures fuyantes du sans-asile, du vagabond ou du rôdeur, lesquelles qualifient moins un délit précis et ponctuel qu’un mode de vie habituel. En effet, en haut lieu, la volonté d’éradiquer les conduites subreptices de rupture avec l’ordre et celle d’entraver le franchissement plus explicite des limites de la bienséance complètent le rejet des simples présences indésirables. Le peuple nocturne est encombrant parce que, non content d’occuper abusivement la voie publique, il transforme la ville en une grande énigme, un cruel jeu de piste, où silence, murmures et cris se succèdent avec une troublante imprévisibilité. Comme si elle était, de nuit, la seule utilisatrice de la rue, la « populace » y donne libre cours à son goût de l’excès, à sa spontanéité disharmonieuse, malgré les encouragements à la civilité dont on l’abreuve pendant le jour. Pour les avis les plus alarmistes, l’ombre qui s’abat chaque soir sur Paris vient semblablement y obscurcir les âmes, libérant les pulsions sournoises ou belliqueuses d’un sous-prolétariat impossible à domestiquer. Levant les ultimes inhibitions, généralisant l’anonymat caractéristique de la vie parisienne, les heures obscures stimulent l’animalité prétendue des plus pauvres, laissés entre eux, en proie à leurs pires penchants.

La nuit parisienne du premier XIXe siècle coïnciderait donc avec la face clandestine de l’existence citadine, demeurée un mystère pour bien des Parisiens eux-mêmes. Ainsi, les rapports quotidiens des patrouilles et rondes nocturnes égrènent-ils une suite de scènes insolites ou brutales dignes des Nuits de Paris de Restif (elles en ont d’ailleurs le découpage), fragments d’une vie obscure dont seuls les plus hauts responsables obtiennent, le matin, une vue synthétique. Mais manque justement le narrateur, l’observateur discret et omniscient capable de décrypter chacun de ces épisodes, qui nous sont livrés avec crudité, mais sans avant ni après, ce qui accuse l’impression selon laquelle nuit et étrangeté sont, dans le Paris des monarchies censitaires, étroitement synonymes[225]. De fait, se glissent indéniablement dans cette ombre encore épaisse la plupart des conduites furtives capables de saper l’ordre citadin. Les réflexes de sourde protestation contre les règles venues d’en haut trouvent, dans l’obscurité, un moment d’épanouissement plus ou moins feutré. La nuit, ou plus exactement la fin de la journée de travail, est parallèlement marquée par une montée des tensions au sein de classes populaires dont la violence, supposée native, semble avant tout s’exercer entre elles-mêmes, contrairement à ce que redoutent les bourgeois attardés dans les rues.

L’histoire des déviances ordinaires traversant l’espace parisien du XIXe siècle n’a, jusqu’à présent, pas suscité une grande attention[226]. Il est pourtant légitime d’y percevoir un écho des modes de vie et des mentalités populaires du temps, et de vouloir



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