Les dix mille portes de January by Harrow Alix E

Auteur:Harrow Alix E.
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Hachette Heroes
Publié: 2021-08-17T11:25:42+00:00

À l’heure du dîner, les muscles de mes bras n’étaient plus que des chiffons usés, et mes phalanges me faisaient mal d’avoir tant serré la pièce. Sauf que ce n’était plus une pièce, mais un triangle effilé où il ne restait plus rien du visage de la reine sinon un œil avisé au centre. J’ai poursuivi mes efforts après le dîner, car je voulais être sûre qu’elle soit assez pointue, et aussi parce que j’avais peur.

Mais la nuit arrivait – j’ai observé la lumière sur mes murs nus passer du rose au jaune pâle puis à un gris terne – Havemeyer serait bientôt là. Il ramperait dans les couloirs comme un monstre de roman d’épouvante, tendrait ses doigts glacés vers moi, viderait ma chair de toute chaleur…

J’ai repoussé mes couvertures et, pieds nus, me suis rapprochée de la porte sans un bruit.

La pièce, fine et brillante dans ma paume, s’était transformée en une minuscule lame ou une pointe aiguisée de stylo plume. Je l’ai posée contre la pulpe de mon doigt, j’ai songé aux yeux affamés de Havemeyer, et j’ai appuyé.

Dans le clair de lune, le sang ressemble à de l’encre. Je me suis agenouillée et j’ai tracé du doigt sur le sol une ligne tremblante, mais le sang a fait des pâtés sur le carrelage lisse. Alors j’ai serré la main pour faire tomber les gouttes réticentes et former un T irrégulier, mais je savais déjà que ça ne marcherait pas : cela me coûterait trop de sang et de temps.

Ravalant péniblement ma salive, j’ai étendu mon bras gauche sur mes genoux et essayé de le voir comme du papier, de l’argile ou une ardoise, quelque chose dénué de vie. J’ai posé la lame d’argent sur ma peau, à l’endroit où le muscle de mon avant-bras rejoignait mon coude.

J’ai pensé Tiens bon, January, et je me suis mise à écrire.

C’était moins douloureux que je l’aurais cru. Non, je mens… Graver des lettres dans votre chair, assez profondément pour que le sang remonte comme le pétrole d’un puits, fait précisément aussi mal que vous pourriez l’imaginer ; c’est juste que, parfois, la douleur est trop inévitable, trop nécessaire pour qu’on la ressente.

LA PORTE

Je m’efforçais de tenir la lame éloignée des veines du milieu de mon avant-bras, vaguement consciente que je pourrais me vider de mon sang sur le carrelage de l’hôpital, ce qui mettrait un terme tragiquement bref à ma tentative d’évasion. Mais je ne voulais pas avoir la main trop légère, de peur de montrer ainsi une hésitation ou une incrédulité secrète. C’est d’y croire qui compte, souvenez-vous.

LA PORTE S’OUVRE POUR ELLE.

La pointe de la pièce a tourné sur le point, et j’y ai cru de tout mon cœur bouleversé.

La chambre s’est comme réorganisée d’elle-même, torsion subtile désormais familière de la réalité, comme si une ménagère l’avait saisie par les deux bouts pour l’essorer. J’ai serré les paupières et attendu, l’espoir pulsant dans mes veines et gouttant sur le sol… Que Dieu me vienne en aide, si ça ne

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