Les corps abstinents by Emmanuelle Richard

Auteur:Emmanuelle Richard [Richard, Emmanuelle]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Santé, Science, Témoignage
ISBN: 9782081510272
Éditeur: Flammarion
Publié: 2020-01-20T09:16:54+00:00

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Pendant ces années passées sans contact, je n’ai cessé de me demander si la sexualité partagée était une envie ou un besoin. Et si le sexe n’est pas un besoin, pourquoi ce sentiment terrible de misère sexuelle chez certains d’entre nous ?

Après avoir changé d’avis de nombreuses fois, je considère le sexe avec partenaire(s) comme une envie non essentielle érigée en besoin par les fictions sociétales. Pour Michel Foucault, la sexualité serait « le chiffre de l’individualité, à la fois ce qui permet de l’analyser et ce qui rend possible de la dresser. » Elle est donc « un moyen de pouvoir moderne, à même de toucher l’individu comme l’ensemble d’une population1. » La misère sexuelle « est un capitalisme comme un autre2 » et n’existe que parce que l’on nous inculque qu’être seul, jouir tout seul, est un échec. À quoi s’ajoute le fait que seuls vaudraient le couple, l’amour et la passion amoureuse – seuls ceux-ci sont valorisés en tant que modèles –, excluant toutes les autres formes de relations interpersonnelles envisageables. Dans les faits, une sexualité solitaire et épanouie est possible, à cette retenue près que, comme le font remarquer Thomas, qui trouve le porno affreusement laid, et Camille, dans sa relation à distance qui ne la comble plus, celle-ci fait disparaître toute possibilité de surprise. La problématique essentielle de la sexualité par soi-même se résume ainsi : elle ne permet aucune poétique de l’inattendu. Il n’y a pas de misère sexuelle en soi, il y a une misère relative au défaut de relations interpersonnelles, aux vies vécues en l’absence de toute intimité, contact, attachement. La misère relationnelle des vies trop solitaires.

Cela étant, la question d’être engagé dans une relation avec quelqu’un ayant des envies de contact différentes, voire opposées aux siennes, est un autre problème. C’est là qu’à mon avis la sexualité partagée devient un besoin : dans ce cadre, elle engage beaucoup d’autres dimensions et met en jeu la notion de rejet, vécue à des degrés d’insatisfaction, de souffrance ou de peine différents chez chacun.

Je fais partie de ceux qui trouvent terriblement douloureux de vivre une relation sentimentale sans contact ; de là j’éprouve une admiration particulière pour Dalva et Hadrien. Je sais que je ne le pourrais plus. Peut-être les stéréotypes incorporés depuis ma naissance sont-ils trop forts, peut-être est-ce pour avoir été si mal aimée à plusieurs reprises. Peut-être que, quand le lien est fort, c’est différent.

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