Les cordelettes de Browser by Garcia Tristan

Auteur:Garcia,Tristan [Garcia,Tristan]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: Antonin - TAZ (Talenvin - Giga)
Publié: 2012-06-10T22:00:00+00:00

3

Elias

Le troisième cavalier suivait sa route tranquillement.

Nul vide sous ses pieds, nulle menace au-dessus de son crâne.

Elias ménageait sa Mécanique. Il avait quitté la barque de pin jaune, monté les escaliers biscornus sous le couvert des branchages humides et féeriques, déplié sa Mécanique tout en haut des falaises de craie.

Devant lui, le désert.

Elias laissait cavaler sa monture à l’amble métronomique d’une montre bien réglée. Le métal de la chose se compliquait de reflets d’alu kaléidoscopiques. Les jointures argentées laissèrent s’anamorphoser la ligne d’horizon.

Elias s’arrêta et se roula une feuille, qu’il mâcha tout en observant le passage du jaune à l’orange parmi les derniers résidus de lœss alentour. Quelques noms lui revinrent : n’était-ce pas ainsi, le Gobi avant l’Éternité ? Ou plutôt les plaines du Yang-Tsé-Kiang, à l’abord des marches de l’Ouest d’antan ?

Elias alluma le feu de camp à l’aide de branchages secs récoltés sur un kilomètre de maquis. Les autres devaient certainement, à l’heure qu’il était, se construire leur petit jeu, des décors de pacotille sur ce pauvre désert mêlé de buis secs. Les joueurs projetaient sur le paysage ce qui se tramait en eux-mêmes. Elias soupira : quelle gaminerie.

Ils se retrouveraient en Ville et les choses se régleraient là-bas comme elles devaient l’être.

Elias déposa sur le sol dur et réel une couverture à carreaux bleus et verts, recouverte de poussière grise. Après avoir retiré son jean amidonné, il s’enroula dans le tissu râpeux.

Il lui manquait un oreiller.

Elias partit chercher la Console en se grattant les cuisses, le bâillement aux lèvres. Mais la chose était trop haute, trop anguleuse et trop dure. Sentant rageusement le sommeil qui s’en allait, il vit le froid de la nuit glisser sur la carcasse de la Mécanique au repos, les pattes repliées, le corps de travers. Elias n’aimait guère avoir recours aux cordelettes de la Console, mais il se résolut à les tripatouiller. Et par la magie qu’on devait à Browser, le caillou sans âme à deux mètres de son lit de fortune devient l’oreiller dodu de son enfance. Il se lova dans l’illusion du confort, le mirage du tissu de son lit d’écolier, l’odeur des soirs d’hiver à la maison, le baiser de la mère, et sentit une chaleur artificielle fondre dans son corps, puis le sublimer vers le sommeil.

Au matin, Elias maudit la Console et les illusions. Fatigue et crampes après avoir dormi par terre, torticolis. Le crédit accordé au rêve est toujours débité sur le compte de la réalité. Il faut payer, disait Elias. Qui se leva, détailla la poussière orangée, sous le soleil encore bas. Il avait froid, mais l’air se réchaufferait d’ici quelques minutes. Elias enfonça ses pieds couverts de grosses chaussettes de laine dans la terre sablonneuse, apprécia son assise argileuse, à la lisière du désert de poudre.

Consciencieusement, il roula la couverture et serra les cordes de son bagage, puis monta sur la Mécanique à genoux, lorsqu’il aperçut une trace dans la terre jaunie, comme un filament. Un serpent ? Une craquelure dessinée dans le sol ? Un petit coup de pied dedans.

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