Les canotiers by Julie Rivard

Auteur:Julie Rivard [Rivard, Julie]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782897835101
Éditeur: LER (Les Editeurs Réunis)
Publié: 2021-01-12T20:34:42+00:00

12

Un soleil éclatant mais traître, vu les moins vingt degrés ambiants, aveuglait les canotiers qui s’étaient massés dans le bassin Louise. En tout, dix-huit équipes s’affronteraient dans l’ultime épreuve de la saison. Cette dernière s’annonçait un peu moins ardue que la précédente, puisque le fleuve comportait moins d’obstructions. Les conditions actuelles permettaient d’envisager plus d’équipes au fil d’arrivée que les quatre de l’an passé. Les blocs de neige en mouvement dans l’eau glaciale étaient plus larges et donc plus stables. Il serait possible de tirer les canots sur de longues surfaces au lieu de constamment se heurter à des blocs irréguliers qui s’entrechoquent et qui freinent l’avancée. Bref, aujourd’hui, tous les éléments dansaient sur le fleuve à la manière d’une valse, ce qui changerait de la danse macabre qui s’était échelonnée sur près de deux heures lors de l’édition précédente. Assis dans leur embarcation, les canotiers des Battures vérifiaient leur équipement et leurs instruments.

Ils étaient bien silencieux, la nervosité les ayant muselés dès leur arrivée à la marina. Philémon avait toujours la main sensible, mais n’aurait jamais osé s’en plaindre, tout comme Charles qui ressentait l’humidité dans les articulations de ses jambes, particulièrement la droite, mais qui n’en soufflait mot. Il leva plutôt ses yeux gris vers le Château Frontenac, qui découpait l’horizon de majestueuse façon.

— Mon père m’a appris que le bassin avait été nommé en l’honneur de la princesse Louise, quatrième fille de la reine Victoria, raconta alors Réginald d’une voix ténue.

Phil acquiesça de la tête, déjà au courant de cette anecdote historique. Il connaissait tout sur tout, alors difficile de le surprendre. De son côté, Charles continuait de contempler le panorama. En contrebas, il pouvait distinguer les énormes résidences en pierres datant de la Nouvelle-France et, en hauteur, l’Université Laval avec son crépi blanc, ses nombreuses lucarnes et cheminées argentées et sa vaste toiture en tôle canadienne. Ce joyau patrimonial ne le fit pas rêver à un diplôme qu’il aurait pu décrocher, non.

Il lui fit penser à Jade. Seulement à Jade. Il savait qu’elle habitait quelque part dans l’une des rues avoisinantes au Séminaire de Québec, qui abritait la réputée université.

Elle lui manquait tant.

— OK, c’est le grand départ. Êtes-vous prêts, les gars ? lança soudain Marius en serrant les doigts si fort autour de sa rame que ses jointures commencèrent à blanchir sous ses gants.

Les membres de l’équipage redressèrent l’échine. Ils déposèrent leur rame ou leur pagaie et expirèrent une colonne de condensation dans l’air froid. La tension était à couper au couteau. Et puis, bang ! le coup d’envoi fut donné ! Les canotiers coururent à toute vitesse sur la piste de départ glacée jusqu’à ce qu’ils atteignent l’eau. Les corps des cinq canotiers des Battures s’inclinèrent alors vers l’avant afin de propulser le canot au plus fort de leurs capacités.

Tout autour d’eux, la multitude d’autres embarcations se démenaient pour émerger du bassin, prendre le large et établir une longueur d’avance. L’immense foule en délire applaudissait, criait et sifflait. Le vent transportait ses encouragements jusqu’au fleuve.

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