Les bienveillantes by Carpentier

Les bienveillantes by Carpentier

Auteur:Carpentier
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock


6

– Je ne t’avais pas menti, Rachid. Tu vois, on est chez nous.

– Chez nous...

– Tu as raison. On ne reconnaît plus rien. Tout est pareil mais on ne reconnaît plus rien.

– On croirait qu’on est à l’étranger. C’est chez nous mais c’est comme sur la planète Mars. Même la lumière, elle était pas orange comme ça, avant.

– Elle était comme ça. Orange comme ça.

– Tu l’as déjà vue orange comme ça, Mouloud ? Je te crois pas.

– Non, je ne l’ai jamais vue orange, ni verte non plus, ni d’aucune couleur. Daltonien, ça s’appelle. Tu vois la lumière mais pas sa couleur. C’est une maladie. Un truc qui manque dans les yeux.

– Tu as ça, toi ? Cette maladie... ça peut guérir ?

– Je n’ai pas de maladie, Rachid. Pour ça que je ne peux pas guérir. Je vois comme toi, la même chose que toi.

– Je comprends, Mouloud, moi c’est pareil. Je vois les mêmes choses que tout le monde voit mais c’est pas les vraies choses. Je veux dire : c’est des vraies choses mais je les vois autrement, comme si elles étaient pas vraies. Un truc, j’y pense depuis longtemps. Mais longtemps alors, depuis que je suis tout petit. J’avais quatre ans, peut-être cinq ans, pas plus. J’étais à l’école maternelle de la barre Gabriel-Péri qu’elle s’appelle Brosse-à-roulette depuis le changement de municipalité et qu’on l’a toujours appelée Mouru, nous autres, la barre Mouru, je sais pas pourquoi. Maintenant elle y est plus, la maternelle, parce qu’il y a des types qui ont tout fauché dedans, les cubes, les jouets, les boîtes de peinture, la pâte à modeler, tout, on sait pas qui a fait le coup, des types. Bon, moi j’allais là. Un jour, le soir, c’est ma sœur qu’elle vient me chercher. Tu sais, ma grande sœur, celle qui avait des cheveux tellement longs, Yasmina, qu’elle porte un foulard maintenant, je sais pas pourquoi, c’est depuis qu’elle fait de la musique avec le vieil Américain à la moto. En ce temps-là, elle avait ses cheveux longs et, tu vas voir, c’est important, les cheveux. D’habitude c’était pas elle. Je veux dire : d’habitude, c’était pas Yasmina qui venait me chercher le soir à l’école. D’habitude, c’était ma mère ou alors la voisine, madame Arkoun, quand ma mère elle travaillait trop tard. Mais ce soir-là, bon, je sais pas pourquoi, c’est ma grande sœur qu’elle vient me chercher. On rentre à la maison et ma mère elle était là. Je vais à la cuisine pour boire un chocolat et ma mère elle était là. Et voilà que Yasmina elle se met à me poser des questions, comme ça devant ma mère, et que ça me plaisait pas tellement, d’ailleurs. « Rachid, elle dit ma sœur, qui c’était, la petite fille assise à côté de toi à l’école quand je suis venue te chercher ? – J’sais pas, je dis, j’me souviens pas. (Et c’était vrai. Je ne me souvenais pas de quelle petite fille.) –



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