Les émotions du pouvoir : Larmes, rires, colères des politiques (French Edition) by Christian Le Bart

Les émotions du pouvoir : Larmes, rires, colères des politiques (French Edition) by Christian Le Bart

Auteur:Christian Le Bart [Le Bart, Christian]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Armand Colin
Publié: 2018-04-17T22:00:00+00:00


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La revanche des émotions

S’il permet encore de rendre compte de certains faits actuels, le modèle précédent de valorisation du sang-froid et de dénonciation des émotions est de moins en moins pertinent. Tout le monde se souvient d’Emmanuel Macron bousculant son image d’homme policé lors d’un meeting à Paris le 10 décembre 2016 : porté par l’enthousiasme de la foule, il achève son discours en hurlant, bras écartés et regard au ciel : « Parce que c’est notre projet… ! ». La séquence sera beaucoup commentée, souvent moquée, détournée et parodiée sur les réseaux sociaux, mais elle n’est pas assimilable à une gaffe que le candidat aurait commise en négligeant la norme de sang-froid, et dont il aurait eu à s’excuser ensuite. L’expressivité était ici excessive, sans doute un peu déplacée, mais pas scandaleuse : notre rapport aux émotions a changé. Le Point (12 décembre 2016) salue le « lyrisme » et la « force de conviction » du candidat Macron. La plupart des médias jugent l’épisode surprenant mais aucun ne s’en scandalise. Évidemment, les adversaires d’Emmanuel Macron sont plus sévères, à l’image de Philippe Meunier, député UMP (« La France n’a pas besoin d’un hystérique, ivre de son propre orgueil et ne contrôlant pas ses gestes »). Même à droite pourtant, on privilégie le registre de l’ironie, à l’image d’Éric Woerth (« Macron est assez mystique. Les bras en croix, la tête tournée vers les nuages… Je sais que c’est Noël bientôt »).

Pour rendre compte de la vie politique actuelle, il est au moins aussi judicieux de mobiliser un autre modèle, celui de la valorisation de l’expressivité. Les émotions sont plus volontiers dites qu’auparavant, et elles tendent à s’inscrire dans les corps avec une moindre retenue. Relativement inédite dans le champ politique, cette valorisation de l’expressivité traduit d’abord une évolution de fond de notre société. Les émotions y ont davantage droit de cité qu’auparavant. « On passe (…) d’une norme de retenue des émotions à une norme d’expression » (Bernard, 2017, p. 206). Il en résulte un déplacement significatif du seuil d’acceptabilité et de recevabilité politique de l’émotion, y compris dans ses formes les plus expressives, et y compris au sommet de l’État. « La part émotionnelle du discours politique a pris indéniablement de l’envergure ces vingt dernières années » (Boquet, Nagy, 2010, p. 7). Nous tenterons d’objectiver ce glissement et de l’illustrer en revenant sur l’élection présidentielle de 2007, celle qui opposa au second tour Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Ces deux personnalités politiques incarnent en effet tout particulièrement la tendance à jouer des émotions pour faire campagne. Nous insisterons ensuite sur le rôle des médias, tout à la fois très friands d’émotions (en particulier chez les politiques) et très disposés à valoriser, pour autant qu’elles soient authentiques, les marques de relâchement émotionnels. D’où des mécanismes d’inversion du stigmate et de renversement de la norme émotionnelle : là où jadis ceux qui se laissaient aller pouvaient apparaître comme indignes des fonctions politiques, ce sont désormais ceux qui ne savent pas exprimer leurs émotions qui attirent la suspicion.



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