L'engagement by Montebourg Arnaud

Auteur:Montebourg Arnaud
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Grasset
Publié: 2020-11-15T00:00:00+00:00

7 – L’esprit de la marinière

La marinière blanche à rayures bleu marine des mailleuses bretonnes d’Armor-Lux entra subitement dans l’imaginaire politique par un concours de circonstances. Un journal populaire avait réalisé une enquête sur le made in France qui montrait un regain de faveur pour les produits français. Il me proposait d’illustrer ce goût des Français pour le patriotisme économique en me photographiant portant des objets et tenues produits en France. Une montre fabriquée dans le Doubs chez l’horloger Herbelin, un mixeur Moulinex assemblé en Normandie et une marinière tricotée en Bretagne chez Armor-Lux à Quimper. Les journalistes et photographes du Parisien m’avaient proposé sans la moindre vergogne de poser en portant un des articles du vestiaire du fameux Slip français. — « Non mais ça va pas la tête ? Vous voulez le ridiculiser mondialement ? » avait lancé ma directrice de la communication. Ils proposèrent alors en deuxième salve de me faire porter un smoking confectionné en France. — « Et puis quoi encore, je ne suis pas James Bond », avais-je décliné. Ils suggérèrent alors la marinière, qui rappelait pêle-mêle la France de Pablo Picasso, Éric Tabarly, Brigitte Bardot ou Jean Paul Gaultier. — « Pourquoi pas ? » Il y avait une inconsciente audace à devoir porter, en transgressant les codes vestimentaires, ce morceau de tissu sur le corps. Il s’agissait d’exprimer l’engagement, rien d’autre. Un engagement personnel et total. Mais un engagement inconfortable car il empiétait sur une propriété intime, le corps. Un engagement qui sortait de l’ordre des discours, et montrait le porteur de marinière tout entier avec sa conviction. C’est cet engagement qui devait entraîner les gens à questionner à leur tour, réfléchir, s’impliquer eux-mêmes dans le soutien au made in France. C’était une forme d’appel aux Français pour qu’ils prennent le chemin des retrouvailles avec nos usines, nos ateliers et nos exploitations, un appel au patriotisme économique, une marque d’estime que nous devions nous adresser à nous-mêmes, et finalement une forme d’amour que nous voulions porter à notre propre travail. Les moqueries ont fusé, les quolibets sont tombés comme à gravelotte, les chiens ont aboyé et la caravane est passée. Les ventes d’Armor-Lux ont soudain augmenté dans des proportions à trois chiffres. Des dirigeants d’entreprises françaises se sont mis eux aussi à arborer la marinière pour rappeler que leurs usines étaient situées en France et faisaient travailler le pays. Des publicités ont repris la marinière comme emblème, se sont mises à revêtir l’objet promu des fameuses rayures bleues sur fond blanc. Lors de mes visites de sites industriels, j’étais accueilli par des employés en marinière. Des cohortes de gens de tous âges sur les réseaux sociaux, dans des rassemblements très divers, se sont mis à porter fièrement leur engagement pour cette cause nationale. Des étudiants m’interpellent encore dans la rue ou dans les gares avec un clin d’œil en montrant du doigt leur propre marinière, comme pour souligner leur engagement. Les supermarchés s’y sont mis à leur tour en créant des linéaires tricolores et le salon des produits made in France rassemble désormais la foule.

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