Leçons de conduite by Tyler Anne

Leçons de conduite by Tyler Anne

Auteur:Tyler, Anne [Tyler, Anne]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Stock
Publié: 1988-01-08T23:00:00+00:00


5

En voyage avec Ira, Maggie aimait à chanter On the Road Again – non pas le titre de Willie Nelson, mais un vieux tube de Canned Heat appartenant à la collection de Jesse –, un genre de blues entraînant et massif. Ira faisait la batterie : « Boum-da-da, boum-da-da, boum-da-da, boum, boum ! » Et Maggie entonnait : « Take a hint from me, mama, please, don’t you cry no more ! » Les poteaux télégraphiques se mettaient à défiler en rythme. Maggie se sentait partir ; elle larguait les amarres. Elle renversait la tête et battait le tempo en balançant le pied.

Autrefois, lors de ses virées clandestines, le paysage lui avait semblé hostile tel un territoire ennemi. Parmi ces bois et ces verts pâturages, on gardait sa petite-fille en otage. Calfeutrée dans ses écharpes ou son trench couleur muraille, enfouie sous les boucles rousses de la perruque de Junie, Maggie filait comme dans un mauvais rêve. Elle était en cavale, l’enfant était son idée fixe. Elle imaginait son petit visage rond et clair comme un sou neuf, ses yeux toujours émerveillés dès qu’elle rentrait, ses menottes brandies et enthousiastes. « Me voilà, Leroy ! Ne m’oublie pas ! » Mais ces expéditions s’étaient avérées si décevantes, à la longue. L’ultime visite avait été dramatique : la petite s’était retournée dans sa poussette pour retrouver sa « Mom-Mom » – l’autre grand-mère, l’usurpatrice. Alors Maggie avait fini par renoncer. Elle se cantonnait aux visites officielles avec Ira. Et puis celles-ci avaient cessé à leur tour. L’image de Leroy s’était estompée et apparaissait diminuée, comme quelqu’un que l’on observe par le gros bout de la lorgnette – toujours chère à leur cœur, mais si loin.

Maggie eut une pensée pour le chat Pumpkin, mort l’été précédent. Son absence l’avait tellement hantée qu’il n’en avait été que plus présent. Finis les enroulements veloutés entre les chevilles devant le réfrigérateur, finis les ronronnements de hors-bord lorsqu’elle s’éveillait la nuit. Bêtement, car c’était sans comparaison, sa disparition lui avait rappelé le départ de Fiona et de Leroy. Il y avait même pire : à l’automne, avec l’arrivée du froid, Maggie était comme chaque année descendue à la cave pour débrancher le déshumidificateur. Elle ne s’en était pas remise. Elle avait regretté, pour ainsi dire personnellement, l’extinction du ronronnement intime et fidèle qui animait les lames du parquet. Décidément, elle avait quelque chose qui clochait. Allait-elle passer le restant de ses jours en deuil, uniformément pour sa bru, son chat, et tout l’électroménager ?

Était-ce cela, vieillir ?

Au-dehors, les champs avaient viré au bronze comme dans une belle photo de calendrier. Ils n’exprimaient rien de particulier. Peut-être la présence complice d’Ira à ses côtés l’aidait-elle ? Ou était-ce simplement que, tôt ou tard, même les chagrins les plus aigus finissent par s’émousser ?

« But I ain’t going down that long old lonesome road by myself », continuait-elle par cœur, et Ira scandait : « Boum-da-da, boum ! »

Si Fiona se remariait, elle aurait sans doute affaire à une nouvelle belle-mère.



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