Le vieux roi en son exil by Olivier Le Lay

Le vieux roi en son exil by Olivier Le Lay

Auteur:Olivier Le Lay
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782072460180
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2012-03-15T00:00:00+00:00


La plupart du temps désormais il me prenait pour Paul, son frère. Cela m’était égal, on restait en famille. Je m’accommodais aussi très bien du fait qu’il me saluait le matin en lançant d’une voix chantante :

« Dieu te bénisse, mon bien cher frè-e-re. »

Parfois il s’arrêtait au milieu d’une phrase, me présentait comme son frère Paul, « le garde forestier », et ajoutait :

« Il est poète et penseur. »

Il ne se livrait pour ainsi dire plus du tout à ses escapades, restait de plus en plus souvent sur le petit mur devant la maison, ou debout sur la terrasse à regarder le village qui s’étendait en bas. Je m’attendais alors parfois à ce qu’il eût toute sa tête, à le voir se tourner vers moi pour engager une petite conversation. Nous n’avions jamais eu que de petites conversations. Il ne m’avait jamais sermonné, ni dispensé de conseils. Je ne me souviens pas du moindre laïus à haute teneur pédagogique. Son domaine de prédilection, c’étaient les remarques sur le temps et les mouvements dans le paysage.

Quand on le voyait ainsi, dans l’ombre tachetée de l’un des arbres, on aurait pu penser que tout allait bien.

Je me disais alors que le temps qui nous restait encore était compté. Je me demandais où nous en serions l’année prochaine et l’année d’après. Deux ou trois ans — c’est à peu près le temps dont j’ai besoin pour écrire un roman. Trois ans, c’était à peu près le temps pendant lequel, croyais-je alors, mon père serait encore accessible. C’est pourquoi je revenais dans le Vorarlberg aussi souvent que possible, laissant à ses aides-soignantes leur après-midi pour pouvoir passer ces moments seul avec lui.

La plupart du temps les journées se déroulaient très paisiblement. Parfois, je croyais avoir des problèmes d’audition, parce que je n’étais pas habitué au silence. Pendant que je travaillais, mon père restait assis en face de moi, à la table de la cuisine, des heures durant. Il passait les mains sur la table, respirait parfois vite et en rythme, manipulait le porte-journaux, se comportait calmement sinon. Parfois il me posait une question, et nous discutions, parfois il lisait du coin de l’œil ce que j’écrivais sur mon ordinateur portable. Comme je lui demandais si ce que j’écrivais l’intéressait, il me répondait :

« Oui, ça m’intéresse tout de même un peu. »

Puis il se rasseyait et prenait une mine songeuse. Dans ses rêveries, il me semblait qu’il était toujours celui d’avant. Il jouait avec ses doigts comme s’il n’y avait rien de plus urgent à faire, me priait, de temps à autre, de lui dire si j’avais besoin de lui.

« Je sais bien, hélas, ajoutait-il, que je ne fais plus rien de bon, mes capacités ont beaucoup baissé. C’est difficile. Je crains de ne pas pouvoir beaucoup t’aider. »

Je lui dis :

« De tous, c’est toi qui m’aides le plus.

— Ne dis pas ça !, répliqua-t-il.

— C’est pourtant vrai, c’est toi qui m’aides le plus.

— C’est gentil de ta part.

— C’est vrai. »

Il cogita un instant, puis il me dit :

« Alors sache que j’en prends bonne note.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.