Le Triangle et l'Hexagone by Maboula SOUMAHORO

Le Triangle et l'Hexagone by Maboula SOUMAHORO

Auteur:Maboula SOUMAHORO [Soumahoro, Maboula]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: La Découverte
Publié: 2019-12-18T11:11:45+00:00


Étudier outre-Atlantique

C’est aux États-Unis que je me suis définie comme française et que l’on m’a crue. Sans me poser de questions. Sans mettre en doute ma parole. Cela s’est produit très naturellement. Presque automatiquement. Sans le moindre effort. Tout était simple : je me trouvais à l’étranger et, en toute logique, on m’interrogeait fréquemment sur mes origines. Je répondais à chaque fois que je venais de France, de Paris. C’était la première fois qu’une telle réponse me venait aussi aisément. Jusqu’alors, en France, mon pays natal, on m’avait également posé la question de mes origines. À maintes reprises. À chaque fois, ma réponse avait été différente : « je suis africaine » ; « je suis ivoirienne ». En vérité, la réponse que j’apportais à cette question importait peu. Il suffisait que je nomme un pays étranger. Et noir. Mon impression était que d’une certaine manière je n’étais pas à ma place en terre française. Il fallait que je m’explique. Que j’explique ma présence. Que j’explique le fait que j’étais noire. Car ce n’était ni mon accent ni mes vêtements qui déclenchaient cette question sur mes origines. C’était mon corps, mon phénotype, mes cheveux et peut-être mes prénom et nom de famille. Je n’étais pas à ma place. Je venais d’ailleurs. Je ne pouvais pas être française. Mon apparence n’était pas celle d’une Française. Je ne parlais pas comme une Française non plus. On m’inventait un accent. Ou alors on s’étonnait que je parle si bien le français, que je ne possède pas d’accent. Je ne mangeais pas comme une Française. Je ne priais pas comme une Française non plus.

Les États-Unis et la distance qui me séparait du territoire hexagonal ont transformé tout cela de manière radicale. Ce nouvel espace, ce troisième espace puisqu’il venait s’ajouter à la France hexagonale de ma naissance et à la Côte d’Ivoire de mes parents, me fit envisager Paris et l’Hexagone comme mes terres d’origine, mes lieux de retour. J’en fus la première étonnée. Aussi étonnée que quand, pendant le premier cours que je suivais alors sur la diaspora noire/africaine enseigné par le spécialiste Colin Palmer4, celui-ci m’annonça avec une désinvolture non feinte qu’au vu de mes origines africaines par mon ascendance et européennes par mon lieu de naissance et de résidence habituel j’appartenais moi aussi à la diaspora que le groupe d’étudiants dont je faisais partie s’apprêtait à étudier tout au long du semestre. Ce fut un véritable choc. Une révélation. Je n’avais jamais envisagé les choses de la sorte auparavant. Il devenait soudainement absurde de railler Erykah Badu et certains des artistes africains-américains issus de la scène musicale rap ou neo soul que j’appréciais. Les tenues vestimentaires que ceux-ci arboraient, à mes yeux ignorants, étaient apparues comme tout droit sorties d’un fantasme exagéré : celui de l’Afrique perdue et retrouvée par le biais de la réinvention. En réalité, tout cela n’était qu’une affaire de chronologie.

Moi aussi j’avais perdu l’Afrique.

Cependant, j’avais longtemps cru, à tort, que mon africanité n’était pas questionnable car je pratiquais l’Afrique et la côtoyais au quotidien.



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