Le sport est il inhumain ? by Robert Redeker

Le sport est il inhumain ? by Robert Redeker

Auteur:Robert Redeker [Redeker, Robert]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Philosophie
ISBN: 9782755701180
Éditeur: panama
Publié: 2008-05-15T22:00:00+00:00


IV LA SUBSTITUTION DU STADE À LA CITÉ

L’assomption de la figure du supporter accompagne le déclin d’autres formes anthropologiques plus consistantes. L’animal politique, le militant politique et syndical, l’homme de culture et l’honnête homme s’effacent du champ public au profit du supporter dans le même moment où les idoles sportives focalisent l’attention bien plus que les grands savants, philosophes, artistes ou écrivains, ceux qui font la culture[44]. Comment comprendre ce changement socio-historique ?

S’il arrive que l’expression politique se réfugie dans les gradins des stades, c’est parce que la vie politique dans la cité s’est étiolée. L’homo sportivus n’est pas l’homo politicus : les slogans politiques s’exprimant dans les tribunes ne sont que les résidus misérables d’une vie politique plus large, disparue. Le supporter, de loin en loin, se souvient que l’homme a été un animal politique, et 0 est amené à le caricaturer – en sifflant La Marseillaise, comme lors de France-Algérie 2002 et de France-Maroc 2007, ou en agitant un quelconque fanion ethnocratique. L’engagement supporter est une parodie, vide de contenu et acéphale, de ce qu’a pu être autrefois l’engagement politique. Il est la forme évidée de l’engagement, il est l’engagement propre à notre ère du vide. Les manifestations apparemment politiques qui se développent dans les stades – en particulier celles qui ont conduit à divers incidents au Stade de France lors de matchs internationaux au début du XXIe siècle, mais aussi les démonstrations racistes et antisémites et les saluts nazis qui émaillent certains matchs de football – ne constituent pas une résurrection de la politique. Elles ne font que mimer hideusement le spectacle d’une politique générale elle-même réduite, depuis trois décennies, au spectacle.

Revenons sur cette idée, formulée par une contradiction dans les termes : le supportérisme s’identifie avec l’engagement propre à l’ère du vide. L’intellectuel engagé, dont Régis Debray, dans I.F. Suite et fin, a signé l’acte de décès, fut une grande figure de la vie collective pendant plusieurs décennies. Or, le 12 juillet 1998 – date dans l’histoire du sport signifiant la victoire de l’équipe de France dans la Coupe du monde de football – doit être tenu également pour une date dans l’histoire des idées – une date funeste. Ce fut la date où apparut l’engagement sportif des intellectuels[45]. Un lien existe entre la mort de l’intellectuel engagé et l’apparition de l’intellectuel supporter. À partir de cette date, l’engagement glissa du sens vers l’insignifiance. Ce jour-là, renforçant les vagues de délire collectif envahissant les rues, nombre d’intellectuels perdirent le plus élémentaire bon sens en même temps que tout esprit critique. De « Débats » (Le Monde) en « Rebonds » (Libération), l’euphorie générale entraîna dans sa ronde beaucoup de signatures en vue, donnant lieu à une désintellectualisation, sur la place publique, des intellectuels. Par la magie d’une partie de ballon rond, ces intellectuels devinrent intellectuels de masse – ce qui n’a rien à voir avec l’intellectuel organique du prolétariat version Gramsci, avec l’intellectuel au service des causes populaires, avec l’intellectuel spécifique version Foucault, avec l’intellectuel engagé (auprès des luttes populaires) version Sartre.



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