Le Sexe opposé by André-Joseph Dubois

Auteur:André-Joseph Dubois
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Weyrich
Publié: 2014-02-17T00:00:00+00:00

8

Il était mal en point. Tout poisseux de sang. Il dut reprendre trois fois son souffle pour réussir à produire d’une voix mourante : « Mon-sieur-Sorg », et m’empoigner par la chemise. À genoux dans l’herbe, je ne voyais pas grand-chose et je n’avais pas envie d’en savoir plus pour le moment : il était à demi-vivant, pour le reste on verrait plus tard.

Et puis je redoutais bien d’autres problèmes : l’ambulance, la police, un procès-verbal, des tas d’explications à fournir, à commencer par mon identité. Je réalisais sur le tard que notre aventure venait de virer au drame.

Nous sommes restés longtemps sur notre talus, couchés côte à côte en pantelants trimardeurs. Peu à peu, ses plaintes ont repris figure humaine si je puis dire. Il put m’annoncer de grandes nouvelles : « J’ai mal, merde qu’est-ce que j’ai mal. » ou bien « Le pire, c’est les côtes, si vous saviez. » Quand il se trouva en mesure d’actionner les jambes, je lui proposai d’essayer de le lever. Le plus dur fut de l’asseoir. Puis je le saisis sous les aisselles et le redressai. Maintenant qu’il était tourné vers le premier néon, je mesurais mieux l’étendue des dégâts, et ce n’était vraiment pas beau à voir.

Je passai son bras autour de mon cou et nous nous sommes mis en route. Il fallait s’arrêter tous les trois pas, le laisser reposer sur sa jambe à peu près valide, le temps qu’il geigne tout son soûl. Moi-même, j’avais bien besoin de reprendre mon souffle. C’est à l’occasion d’une de ces stations qu’il m’a demandé entre deux gémissements si j’étais blessé. Il n’avait rien dû voir de mon intervention.

Nous avons atteint les premières maisons. Tout en marchant, je me demandais comment nous rentrerions à l’hôtel. Il n’était pas question de traverser la place où la foire battait encore son plein. J’obliquai à droite dans une petite ruelle, laquelle, comme je le pensais, nous amena derrière Le Lion d’Or, face à l’entrée du parking. Par chance, la grille était encore ouverte.

« La boîte de secours, dans la voiture » m’a soufflé Ben. Je n’y avais pas pensé. Je l’affalai avec mille précautions sur le capot où il demeura à demi couché pendant que j’allais prendre la boîte, lourde, d’évidence bien pourvue – de l’avantage qu’il y a à voyager avec un pharmacien, j’en avais une longue expérience. Nous nous sommes glissés par la petite porte que j’avais utilisée quelques heures auparavant. Dans la cuisine, M. Barbotin et deux marmitons tout en blanc s’activaient à nettoyer leurs casseroles dans un grand tintamarre (l’un d’eux chantait Sole mio, le détail m’est resté). Nous avons pu passer sans être vus. Je redoutais surtout la réception. Je m’étais dit qu’en cas de rencontre, j’expliquerais que Ben avait bu un coup de trop. Mais à présent, dans le couloir durement éclairé, je jaugeais mieux son aspect effrayant. J’étais moimême maculé de sang. Toutefois Hermès, dieu écartelé des bandits de grand chemin comme des voyageurs, devait avoir pris en

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