Le Reste Est Silence by Guelfenbein Carla

Le Reste Est Silence by Guelfenbein Carla

Auteur:Guelfenbein, Carla [Guelfenbein, Carla]
La langue: fra
Format: epub
Tags: roman
Éditeur: Actes Sud
Publié: 2013-06-05T00:00:00+00:00


25.

Après notre rencontre dans la maison de production, nous ne nous sommes jamais retrouvés ailleurs que dans cet appartement, loué par Leo, et qui donne sur une place. J’y arrive en fin d’après-midi, après mon travail. Quand il ouvre sa porte, il ouvre son monde et l’immobilise pour moi.

— Bonjour, mon amour, dit-il en me prenant dans ses bras.

“Mon amour.” Des mots usés jusqu’à la corde et qui pourtant commencent à me plaire, par la sensation d’irréalité qu’ils suscitent. Peu importe si de l’autre côté de la porte ils ne sont pas vrais.

— J’ai envie de savoir cuisiner pour un jour t’attendre avec un bon repas. Mais je suis un bon à rien, m’avoue-t-il sans me lâcher.

Je sens son souffle contre ma tempe. Je prends sa main et je le guide vers le seul fauteuil de la pièce. C’est un espace vaste et dépouillé. Face à nous, une grande baie donne sur la place peuplée de marronniers. De cette hauteur, on voit les cimes. Je passe la main sous sa chemise, je remarque sa respiration qui ressemble à un mouvement du torse.

— Moi aussi j’y ai pensé, arriver un jour chargée de sacs avec les ingrédients pour te préparer quelque chose, mais je me vois dans un de ces films romantiques américains et ça me coupe toute envie. – Leo rit dans mon oreille. Par la fenêtre entrouverte entre la fraîcheur du soir. – Je préfère la nourriture qui arrive par téléphone. C’est comme ça que Lola l’appelle.

Son prénom apporte un souffle de réalité qui m’engourdit. C’est ainsi. Au son de certains mots, la digue se fissure et laisse passer les problèmes. Leo pose son index sur mes lèvres et me serre dans ses bras. C’est un contact où il n’y a rien d’étrange ni d’inconnu, mais qui est en même temps excitant. L’angoisse se dissipe.

Après avoir fait l’amour, nous regardons le ciel passer du rouge au bleu métallisé. Nous nous glissons sous les couvertures. La ville se déploie devant nos yeux et ses rumeurs font un bruit persistant. C’est l’heure où tout le monde rentre chez soi, l’heure où je dois me lever et partir. Je me dépêche alors de déclarer, avant que le remords me gagne :

— J’ai prévenu chez moi que je ne rentrerai pas ce soir.

Je n’explique rien d’autre. Je ne partage pas avec Leo les mensonges qui font maintenant partie de mes jours.

— Cet appartement est comme une maison de verre.

— C’est vrai, reconnaît-il. Quand je l’ai visité, c’est ce qui m’a plu, cette vue spectaculaire et l’impression d’être suspendu dans le vide.

La nuit tombe. Les fenêtres brillantes des immeubles flottent dans le bleu foncé du soir ; Leo me fait remarquer que, dans les rectangles dorés, les ombres de leurs habitants bougent comme des flammes.

— Regarde-moi.

Je veux trouver dans ses yeux cet éclat propre à ceux qui ne voient que l’être aimé. Mais ce n’est pas ce que je trouve. Le minuscule coquillage noir de ses pupilles est dans sa carapace. Je ris.

— Qu’est-ce qui te fait rire ? me demande-t-il en étirant les bras.



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