Le problème de l'être chez Aristote by Pierre Aubenque

Le problème de l'être chez Aristote by Pierre Aubenque

Auteur:Pierre Aubenque
La langue: fra
Format: epub
Tags: Sciences humaines et sociales
Éditeur: Presses Universitaires de France
Publié: 2018-01-30T16:00:00+00:00


§ 3. Faiblesse et valeur de la dialectique

Bien que le mot n’y soit pas prononcé, ce sont les premières lignes du De Partibus animalium qui nous éclairent le mieux sur la fonction et les limites de la dialectique selon Aristote. « En tout genre de spéculation et de recherche, la plus banale comme la plus relevée, il semble qu’il y ait deux sortes d’attitude ; on nommerait bien la première science de la chose (ἐπιστήμην τοῦ πράγματος) et l’autre une sorte de culture (παιδείαν τινά). Car c’est bien le fait d’un homme cultivé que d’être apte à porter un jugement (κρῖναι) pertinent sur la manière, correcte ou non, suivant laquelle s’exprime celui qui parle. Car c’est cette qualité que nous pensons appartenir à l’homme doué de culture générale (τὸν ὅλως πεπαιδευμένον) et le résultat de la culture (τὸ πεπαιδεῦσθαι) est précisément cette aptitude. Ajoutons, il est vrai, que celui-ci est, pensons-nous, capable de juger (κριτικόν), lui tout seul, pour ainsi dire, de toutes choses, tandis que l’autre n’est compétent que sur une nature déterminée (περί τινος φύσεως ἀφωρισμένης) [96] . »

Ce texte résume fort bien le débat que nous avons évoqué entre la compétence et l’universalité. Mais l’originalité d’Aristote est de ne point prendre parti entre ces deux exigences. L’une et l’autre sont également légitimes : on ne pouvait attendre qu’Aristote dévalorisât l’exigence scientifique dans un texte qui est le prologue de toute son œuvre biologique ; il est plus étrange de le voir, en ce lieu, faire l’éloge de la culture générale, surtout si l’on songe que les contemporains ne pouvaient pas ne pas voir dans cet éloge une réhabilitation des sophistes et des rhéteurs [97] . A vrai dire, on a ici l’impression que la culture générale a moins une valeur par elle-même qu’elle ne se nourrit des insuffisances de la science de la chose. La science est « exacte », comme le dira ailleurs Aristote [98] , mais elle a l’inconvénient de ne porter que sur « une nature déterminée », d’ignorer par conséquent le rapport de cette nature aux autres natures et finalement à la totalité. La culture a, elle, l’avantage d’être générale, mais elle a l’inconvénient de n’être pas un savoir ; dans un autre texte, Aristote opposera les « hommes cultivés » à « ceux qui savent » [99] , comme ici la παιδεία à l’ἐπιστήμη. La généralité de cette culture a-t-elle donc pour contrepartie sa vacuité ? On sait qu’ailleurs Aristote n’hésitera pas à tirer une conséquence de ce genre [100] . Mais ici la culture est sauvée dans sa généralité même ; elle permet de « juger » le discours quel qu’il soit ; elle autorise celui qui la possède à « juger » légitimement de toutes choses ; elle a une fonction critique universelle, mais il faudrait préciser : une fonction qui n’est universelle que parce qu’elle se contente d’être critique, c’est-à-dire de juger le discours de l’autre, et non de se présenter elle-même comme un discours qui s’ajouterait à d’autres discours.

Plus précisément, le discours de l’homme cultivé n’est pas le discours du savant.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.