Le prix by Manuel Vázquez Montalbán

Auteur:Manuel Vázquez Montalbán [Montalbán, Manuel Vázquez]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Publié: 1996-01-14T16:00:00+00:00

Ils traversèrent la salle à manger sans s’arrêter, car l’ambiance était à la mutinerie et les gens se pressaient autour de Leguina et de la ministre, exigeant des explications.

— Pour conclure dignement les extravagances de l’ère socialiste, il ne manquait plus que cette prise d’otages des intellectuels.

Leguina avait perdu toute patience.

— Qui a dit que vous étiez un intellectuel ?

Certaines personnes avaient bien l’intention de conspuer le visage morne du président de la Communauté autonomique en exercice, et madame le ministre ripostait à coups de métaphores ironiques en les traitant comme des gamins.

— Songez que vous vivez une expérience unique dans votre vie.

Carvalho marchait derrière Ramiro, mais à la porte de la pièce destinée aux interrogatoires, l’inspecteur se retourna vers lui.

— J’ai confiance dans vos qualités d’observation, mais je veux pousser les témoins dans leurs retranchements. Nous ferons comme si leurs mouvements avaient été enregistrés par le circuit fermé de la télévision. Vous et moi, nous savons qu’il n’en est rien, mais presque personne n’est au courant. Une autre donnée importante, c’est le Prozac. Seule une personne au courant des habitudes de Conesal pouvait mettre de la strychnine à la place du Prozac dans les gélules. Mais nous ne pouvons pas trop poser cette question, car les interrogés en parleraient en sortant et les suivants seraient prévenus.

Carvalho approuva. Le bureau du gérant de l’hôtel se transformait en commissariat de luxe. Quand Ramiro et Carvalho entrèrent, le policier se mit à frapper dans ses mains pour accélérer les préparatifs : mise en place de la machine à écrire et du magnétophone, réglage des lampes trop crues.

— On ne peut pas interroger avec cette lumière de salle d’opération. Je veux un éclairage de bar louche.

On avait beau essayer toute sorte de combinaisons, impossible d’obtenir un éclairage de bar louche, et Ramiro était d’une humeur de chien.

— Nous allons finir par jouer à la pétanque. Et ce plafonnier… Il n’y a pas moyen d’enlever cette ampoule ?

Le responsable de l’entretien de l’hôtel se démena et, après beaucoup de contorsions, il obtint une lumière d’ambiance fondée sur le clair-obscur, avec une puissante lampe scellée dans l’angle gauche du plafond qui devenait l’œil de Dieu répandant sur cette pièce du Venice le rayon de sa grâce sanctifiante. L’ampoule s’était coincée dans le plafond. Devant les mouvements d’impuissance de l’électricien, Ramiro monta sur une chaise, armé d’un marteau, et il attaqua sauvagement l’œil lumineux. Une galaxie de petits bouts de verre tomba par terre.

— Vous transmettrez la facture à la Direction Supérieure. Et maintenant, la liste !

Ramiro s’approcha lui-même de la porte, gardée par deux policiers, où attendait Alvaro Conesal.

— Invitez les gens à faire une déposition spontanée, cela détendra l’atmosphère et enlèvera tout caractère contraignant. Si quelqu’un exige de déposer en présence de son avocat, c’est foutu : il faut enlever toute gravité à l’affaire. Plus vite les gens prêteront leur concours, plus vite ils partiront. Vous qui savez traduire les métaphores de votre détective, vous pouvez être un bon interprète.

Il se tourna vers ses collègues, l’air sévère.

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