Le Prix by Gely Cyril

Le Prix by Gely Cyril

Auteur:Gely, Cyril
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2019-01-01T23:00:00+00:00


SECONDE PARTIE

19

Comme groggy par la partie d’échecs qui se joue entre eux, Hahn et Lise demeurent un long moment sans parler. Nul bruit ne provient de l’extérieur ni même de la chambre d’Edith. On pourrait croire qu’ils sont seuls au monde, tant le silence qui les entoure est assourdissant.

À quoi pensent-ils ? Hahn aimerait être ailleurs. À Göttingen, à Berlin, à dix mille kilomètres de Stockholm ! Lise patiente. Elle n’a pas encore déplacé toutes ses pièces sur l’échiquier. Elle distingue à peine son vieil ami face à elle, et l’entend tout juste respirer. Mais si la lumière jaillissait soudain dans la pièce, elle sait que son visage porterait les traces de leur affrontement. Quelques cernes plus profonds sous les yeux, les bajoues légèrement plus flasques. Hahn n’est pas un dieu. Ce n’est qu’un homme que Lise veut démettre de son piédestal.

C’est alors que, sans un mot, Hahn se lève. Il déploie avec lenteur sa longue carcasse. Ses os craquent. Il ne cherche pas à allumer la lumière. Il va jusqu’à la fenêtre, entrouvre les voilages. Pas une voiture ne passe en contrebas. Aucun navire dans le port ne s’apprête à prendre la mer. Toute la ville retient son souffle. Car aujourd’hui – 10 décembre – est un jour spécial. L’hôtel de ville reluit, les tables ont été disposées dans la salle bleue, qui en vérité est rouge, les musiciens se tiennent prêts pour le bal. Le roi Gustaf V se prépare lui aussi. À près de quatre-vingt-dix ans, c’est sans doute une de ses dernières cérémonies. Mais il tient à être là pour démontrer au monde entier qu’il est encore sur le trône. Le grand chambellan l’aide à enfiler son smoking, accroche plusieurs décorations sur sa poitrine. Gustaf lorgne alors un large fauteuil que l’on a installé près du feu. Il s’y assied lourdement. D’un geste, le grand chambellan ordonne à tous de quitter la pièce. Le roi désire se reposer une heure ou deux avant de se rendre à l’hôtel de ville.

Hahn donnerait cher pour être à sa place. En paix, près d’un feu qui crépite. Sans ce passé qui vient le tourmenter. Il marmonne quelques mots, que personne n’entend, pas même Lise. Hoche la tête, comme pour se donner du courage, puis fait demi-tour. Il prend alors conscience, presque soudainement, que le salon est plongé dans la pénombre. Depuis combien de temps ?

— Veux-tu que j’allume ? demande-t-il.

Sans même attendre de réponse, il fait un pas vers la console qui borde la fenêtre. Il cherche à tâtons l’interrupteur, bouscule la lampe. Lorsque la lumière jaillit enfin, le salon de la suite 301 redevient aussitôt réel. Hahn redécouvre le décor dans lequel il vit depuis une semaine. Tout est à sa place : les canapés, le Turner, le bar, le poste de radio.

Lise aussi est là. Assise, souriante, une jambe croisée par-dessus l’autre.

— Pardonne-moi. J’aurais dû allumer plus tôt.

— Ne t’en fais pas, répond Lise sur un ton tout aussi cordial. L’obscurité ne m’a jamais dérangée.

— Tant mieux. Désires-tu boire quelque chose ? De l’eau, du thé ?

— Je te remercie, tout va bien.



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