Le Principe du geyser by Stéphane Bourguignon

Auteur:Stéphane Bourguignon [Bourguignon, Stéphane]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782764424261
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2013-03-28T00:00:00+00:00

CHAPITRE 9

Un jour ou l’autre, le vent se lève

Vendredi soir.

Comme j’ai pas mal de temps sur les bras et que je sais de moins en moins quoi en faire, je suis parti à la recherche d’un restaurant où il est possible de boire une Corona. J’ai roulé deux heures en arrêtant à chaque établissement qui laissait présager un minimum de modernité. Pour finir, j’ai mangé deux hot dogs sur une table à pique-nique au milieu d’un fabuleux nuage d’insectes. Ah! oui, j’oubliais, en buvant une Miller en fût.

Je ralentis pour traverser le petit village et j’accélère à fond aussitôt sorti. Je commence à bien connaître ce segment de la route. À cette heure, en plus, je ne risque pas de croiser beaucoup de monde. De toute façon, malgré les courbes et les collines, on voit la réflexion des phares sur la cime des arbres. Attentif à tous ces petits détails, les yeux rivés sur la route, j’essaie de pulvériser mon record de vitesse sans commettre aucune bévue, comme de frapper un papillon de nuit ou d’aplatir un escargot.

Je stoppe la voiture au fond de l’espace de stationnement et, au moment où que je pose le pied au sol, la sonnerie du téléphone retentit. Je fonce vers le cottage en pensant à Annie et aux quelques mots qu’elle pourrait prononcer pour mettre fin à mon calvaire et donner à la vie la permission de reprendre son cours.

Étrangement, la porte-fenêtre est grande ouverte. Je m’arrête. Dans la cuisine, la table et les chaises ont été renversées. Je vois le téléphone, à quelques pas de moi, mais je n’ose pas entrer. Qui me dit qu’un type ne va pas surgir de derrière le réfrigérateur pour m’enfoncer une lame grande comme ça dans l’abdomen? Je me rappelle l’histoire que j’ai inventée pour Annie – l’homme qui m’a frappé à coup de table au milieu de la nuit – et je me dis: «Ben tiens, chanceux comme tu es, mon vieux, ça va t’arriver pour vrai.»

Le téléphone sonne, et sonne encore. Entre les coups, un silence opaque tombe sur la maison. Je jette un œil rapide sur les alentours et, comme l’état de ma santé mentale ne me permet pas de rater cet appel, je me résous à entrer. Le pas hésitant, la tête dans les épaules, je m’attends à recevoir un coup de batte à tout moment.

— Annie?

— Non, Julien, c’est Pépé.

— T’as eu des nouvelles d’Annie? dis-je en ouvrant le tiroir à ustensiles.

— Oui, je t’appelle de la fruiterie, elle vient juste de passer.

— Elle t’a parlé? Elle veut que je rentre?

Je mets la main sur un couteau à dépecer.

— Je l’ai invitée à prendre un café, mais elle a pas voulu. Je crois qu’elle avait pleuré.

— Qu’est-ce qu’elle t’a dit? Elle était avec Antoine?

— Oui, c’était la grande forme. Mais il t’a un peu cherché en entrant...

Je ne réagis pas, je laisse couler les secondes. Il semble que ce soit la seule chose que je puisse faire, laisser couler, laisser aller, laisser partir.

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