Le Poulpe - Touche pas à mes deux seins by Winckler Martin

Auteur:Winckler Martin
La langue: fra
Format: epub

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Face-à-face (2)

Play, lieu-dit « La Fermette »

— Je n’en revenais pas d’avoir empêché tous ces mecs de se battre. Pendant quelques secondes, j’avais eu la trouille de ma vie, sûr qu’ils allaient me cogner dessus d’abord, et saccager le service ensuite, et puis non, ils s’étaient calmés d’un seul coup. L’autorité de la blouse blanche, sans doute… Enfin, toute cette agitation m’avait permis de me réveiller et j’en avais besoin. À eux quatre, ils totalisaient soixante-dix points de suture… L’un des deux skins avait le scalp fendu sur tout l’avant du crâne. Comme il avait beaucoup saigné, un énorme caillot masquait les dégâts. Il n’arrêtait pas de gigoter et de gueuler. Après l’avoir nettoyé, je lui ai tendu un miroir pour lui montrer quelle gueule ça avait, les os frontaux. Il a failli s’évanouir. Ensuite, il m’a laissé travailler. L’autre avait les deux arcades sourcilières en marmelade et une de ses oreilles avait triplé de volume. Mais ils avaient eu le temps de faire des dégâts avant d’en subir. Gabriel, avec son visage tuméfié de partout et sa démarche en zigzag, ressemblait plus que jamais à un grand chimpanzé. Ou peut-être à un poulpe. Pour lui recoudre le sommet du crâne, j’ai dû lui raser les cheveux sur dix centimètres de diamètre. Après tonsure, il pouvait directement entrer dans les ordres. Jean, lui, avait le poignet cassé. Son visage pâle était devenu polychrome, ses copains murmuraient : « Lui qui est si beau gosse, ils l’ont salement amoché, ces salauds… » Et je me disais que, décidément, la vie était pleine de surprises, il y a des jours où on a l’impression que rien ne se passe et d’autres où on en a plein son escarcelle et pas le temps de comprendre.

« … J’ai fait radiographier tout ce petit monde, y compris l’un des copains bodybuildés de Jean, qui se plaignait d’une de ses paluches, mais personne d’autre n’avait rien de cassé. Comme les deux skins avaient pris des coups sur la tête, je leur ai dit qu’il valait mieux rester à l’hôpital pour la nuit, un hématome intracrânien est si vite arrivé, surtout quand on a bu – “combien ? Huit ou dix bières ? Ah, faudrait pas que vous me fassiez un trouble de la coagulation, il vaut mieux qu’on vous garde, surtout que vous habitez aux Cosmonautes, comme le quartier n’est pas folichon, les ambulances refusent d’y aller de nuit alors, si jamais vous nous faites une hémorragie interne, ce serait embêtant” – et c’est fou comme les pires brutes sont impressionnables quand on leur dit les choses avec sérieux, droit dans les yeux, juste après avoir secoué la tête d’un air songeur et essuyé ses lunettes de manière préoccupée, comme si on cherchait le moyen de leur annoncer avec ménagement une nouvelle apocalyptique. Je n’étais pas terroriste uniquement pour m’amuser, je voulais que ces types-là se tiennent tranquilles dans leur lit sans bouger pendant le reste de la nuit, le temps de dessoûler. Si je les relâchais, Dieu sait quelles conneries ils pourraient encore faire.

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