Le petit bleu de la côte ouest by Jean-Parick Manchette

Le petit bleu de la côte ouest by Jean-Parick Manchette

Auteur:Jean-Parick Manchette [Manchette, Jean-Parick]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Publié: 1976-02-02T23:00:00+00:00


14

A deux heures du matin sur R. T. L., pendant que Gerfaut dormait d’un sommeil comateux, on annonça que la Taunus avait été identifiée, qu’elle avait été louée le jour même du drame par un certain Georges Gerfaut, un cadre parisien, qui avait disparu depuis. On se rappelait, dit-on, qu’un gérant de station-service et un autre homme dont l’identité demeurait inconnue avaient été tués le soir du 2 juillet. Le présentateur avait une voix neutre et discrète, comme il a toujours, les nuits, sur R. T. L. Sur le même ton il parla du Proche-Orient, d’un attentat contre l’ambassade de Yougoslavie à Paris, d’une baignade tragique dans la Loire (deux enfants d’une colonie de vacances, et un prêtre qui les gardait et avait tenté de les sauver, avaient péri). Puis il y eut de la publicité pour un concert organisé par R. T. L. Puis il y eut l’indicatif de l’émission et on entendit du Léonard Cohen.

Il faisait chaud. Vêtu seulement d’un grand caleçon blanc en forme de short, et de socquettes blanches, Carlo était assis à la table dans une chambre de l’hôtel P. L. M. -Saint-Jacques. Il avait les traits tirés et les yeux rouges, comme un homme qui a beaucoup pleuré. Il se tenait immobile et il n’eut pas de réaction pendant la lecture du bulletin d’informations. En même temps, cramponné à la table, il faisait des exercices de musculation isométriques.

Après l’incendie de la station-service et la mort de Bastien, Carlo avait roulé au hasard, complètement affolé et malade de rage et de chagrin. Arrivant aux abords de Bourg-en-Bresse, il s’était arrêté pour poser un pare-brise de secours, une feuille de plastique souple maintenue par des pinces. Il avait réfléchi et consulté des cartes. Il avait repris le chemin de Paris, en évitant de repasser devant le poste d’essence, où ça devait présentement grouiller de pompiers et de flics. Il avait rejoint l’autoroute et roulé sur la voie de droite sans jamais dépasser 70 km/h. Il avait quitté l’autoroute à Achères-la-Forêt vers 5 heures du matin. Quelque part dans la forêt de Fontainebleau, il avait quitté la route et s’était garé à couvert. Ne pouvant enterrer le corps de Bastien comme il aurait voulu, il avait sorti ses affaires personnelles de sa cantine métallique et les avait enterrées, la cordelette en nylon, la trousse de toilette, les vêtements. La vue du slip de rechange kaki de Bastien l’avait ému aux larmes. Les larmes ruisselaient sur ses joues tandis qu’il achevait d’enterrer les choses et qu’il piétinait la terre meuble pour l’égaliser. Il avait cherché ensuite les mots qu’il pourrait dire au-dessus de la pseudotombe en guise d’oraison funèbre. Il ne se rappelait aucune prière sauf le Notre Père. Sur le plancher de la Lancia, il retrouva un numéro de Spiderman, l’homme-araignée (qu’il ne faut pas confondre avec l’Araignée dont les aventures paraissent dans Strange). Le visage de Carlo s’éclaira. Il revint vers le tombeau en ouvrant le fascicule et se mit à lire avec componction le texte de la page de garde qui est toujours le même et précède chaque aventure de Spiderman.



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