Le Musée des introuvables by Fabien Ménar

Le Musée des introuvables by Fabien Ménar

Auteur:Fabien Ménar
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782764419458
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2012-12-13T00:00:00+00:00


24

Pas facile de pénétrer dans les bureaux des éditions Au-delà sans avoir le fou rire. D’autres en restent comme deux ronds de flan. Certains, enfin, filent à l’anglaise. Le lieutenant Lemaître, quant à lui, a la courtoisie de n’adopter aucune de ces attitudes indélicates, prenant soin de ne rien laisser paraître de son émotion. Sa stupeur n’en est pas moins vive : au lieu de trouver un bureau de réception, des collections aux murs, des manuscrits empilés et la mine d’ordinaire déconfite de quelque écrivain, c’est bien une sorte d’au-delà, façon nouvel âge, qui l’accueille, avec fumée blanche au ras du sol, scintillement des chandelles, voilages pastel tombant le long des murs et table tournante d’usage trônant en solitaire au milieu de ce qui est un grand loft sans fenêtres ni meubles. En guise de fond sonore, des vagues se brisent avec fracas contre un récif, et pour ajouter au ridicule du tableau, une boule disco saupoudre d’étoiles dorées toutes les surfaces.

— Lieutenant Lemaître !

Surgissant du brouillard, Alphonse Delon flotte dans sa direction, vêtu d’une somptueuse toge de soie lilas à pois jaunes, sa canne gainée de peau de serpent à la main.

— Soyez le bienvenu dans mes bureaux.

— Je vous suis reconnaissant de me recevoir.

— De quoi vouliez-vous me parler, lieutenant?

— Verriez-vous une objection à répondre à quelques questions de routine à propos de F. S.? Le fait est que vous éveillâtes ma curiosité ce matin.

Alphonse Delon cligne les paupières sur une moue satisfaite.

— Prenons place.

Sa canne indique deux poufs qui émergent tout juste du tapis de nuage. Une fois enfoncé dans l’un d’eux, le nez à fleur de brume, le lieutenant Lemaître regrette de n’avoir pas décliné l’invitation à s’asseoir.

— La fumée vous incommode-t-elle?

— Oh, si peu !

— Fort bien.

La soie vaporeuse de sa toge, la nonchalance de ses bras écartés et le maquillage des yeux cerclés de noir donnent à Alphonse Delon des airs de prince russe à qui l’on fait une manucure.

«Vous êtes bien aussi fat que je le craignais, Delon », pense fugitivement le lieutenant Lemaître.

Et Alphonse Delon de démarrer sans attendre la première question. Sur fond de vagues déferlantes.

— Je suis heureux que vous n’ayez pas prêté foi à cet ignare d’Albert Toussaint. Tout le savoir dont se réclame ce rationaliste de bas étage n’est jamais que le symptôme de cette affection ophtalmologique dont est frappée toute la communauté scientifique : le besoin de ne croire qu’à ce qui peut être vu. Et pourtant, la véritable nature de l’homme, comme vous le savez, lieutenant, est invisible.

(« D’où prend-il que je sais cela?»)

— Vous avez vu comme la seule mention de l’âme fait entrer Toussaint dans une rage qui confine au fanatisme. Même la sagesse du scepticisme est hors de sa portée.

— Il s’en fallut d’un rien qu’il ne vous mît en pièces.

— Il s’agit en tout point d’une réaction immunitaire. De même que les cellules vivantes déploient des mécanismes de défense contre toute attaque virale, la science, en tant que système idéologique, combat tout ce qu’elle perçoit comme potentiellement déstabilisant.



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